La Chine et la Russie viennent de signer un accord gazier historique de 400 milliards $ sur 30 ans. Si cela permet à la Russie de contourner les sanctions occidentales suite à la crise ukrainienne, la grande gagnante de cet accord est la Chine, car cela s’inscrit dans une stratégie plus globale et sécuritaire pour Pékin : désaméricaniser le monde.
La rapide ascension de la Chine au sommet de la puissance éveille l’inquiétude des occidentaux, notamment des Américains. Tout indique que les États-Unis se feront rapidement déclasser par l’empire du Milieu. Militairement, la Chine possède déjà le deuxième budget mondial, que les experts soupçonnent d’être 2 à 3 fois plus important que les chiffres officiels qui sont de l’ordre de 166 milliards $US). Le pays fait, depuis 10 ans, l’acquisition de moyens offensifs, porte-avions, sous-marins furtifs, armes à impulsion électromagnétique, missiles supersoniques… tout ceci visant à imposer sa souveraineté sur la mer de Chine du Nord au Sud et ciblant les failles de l’armée américaine.
Économiquement, la Chine a multiplié son PIB par 30 depuis 1985 (contre 2x par les États-Unis) et déclasserait dès 2016 Washington au titre de première puissance économique mondiale (15 ans plus tôt que prévu). La République populaire est également le plus grand banquier des américains, ayant fait l’acquisition depuis 2001 de près de 1500 milliards $ en bons du trésor américain, soit 10% de la dette totale de Washington.
Tout semble indiquer que la confrontation paraît inéluctable, tellement les États-Unis semblent concurrencés. La stratégie de défense américaine (adoptée en 2012) précise d’ailleurs que Washington devra combattre l’émergence de tout rival potentiel menaçant son leadership mondial. Et pour plusieurs, dont John Mearsheimer, éminent professeur de sciences politiques à l’Université de Chicago, la Chine est devenue ce rival. Il a d’ailleurs fait le tour des grandes universités du monde sur le thème de la guerre entre ces deux géants. C’est à ce titre qu’Obama annonçait en 2012, malgré les coupures budgétaires et d’effectifs dans l’armée, le renforcement de la présence militaire américaine dans la région de l’Asie-Pacifique et la création du fameux pivot asiatique des États-Unis autour de pays directement menacés par Pékin comme le Japon, la Corée du Sud ou les Philippines. En renforçant leur présence dans la région, les États-Unis s’engagent directement à endiguer la Chine et la menace croissante que fait peser son armée sur ses voisins.
De son côté, la Chine ne rechercherait pas nécessairement la confrontation. Si elle développe ses armements, c’est essentiellement, dit-elle, pour se défendre de ses voisins belliqueux et de la présence renforcée, à ses frontières maritimes et continentales, de la première puissance militaire de planète.
Dans ce contexte, la Chine ne peut réussir à s’émanciper tant que les États-Unis continueront de tisser des partenariats et des alliances dans la région. Un conflit direct serait d’avance perdu pour la Chine, car l’essentiel des combats se déroulerait sur sa façade maritime, laquelle regroupe tous les grands centres urbains, culturels, politiques et économiques du pays ainsi que près de 80% de sa population. Conscients de cette situation fragile, les experts politiques et militaires chinois en sont arrivés à la conclusion qu’il fallait « contourner » la menace américaine et non la confronter. On se contente ainsi d’appliquer le principe de Sun Tzu selon lequel « l’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combat» (page 6). La stratégie : contraindre Washington à l’isolationnisme en sapant ses plans et réduisant ses capacités d’action. L’objectif : désaméricaniser le monde.
Une stratégie multiforme
Diplomatiquement, tout en critiquant les engagements américains dans le monde, la Chine promeut une vision des relations internationales diamétralement opposée à la politique étrangère des États-Unis, jugée interventionniste et impérialiste. Selon Pékin, la Chine fait de la non-ingérence, un principe fondateur de sa politique internationale, c’est la théorie de l’émergence pacifique. Cette « opération séduction » attire en Afrique et en Amérique du Sud où les populations se plaignent des relents néo-colonialistes des puissances occidentales. Le secrétaire général de la commission économique des Nations-Unies pour l’Afrique, Carlos Lopes, encourageait encore, en avril dernier, les gouvernements africains à suivre le modèle de développement chinois.
Stratégiquement, la Chine est très dépendante des importations de matières premières. 75% de sa consommation intérieure est issue des importations de pétrole et gaz provenant essentiellement d’Afrique ou du Moyen-Orient dont les points stratégiques sont contrôlés par les flottes et les bases militaires américaines. C’est dans ce cadre que Pékin s’enligne depuis près de 10 ans maintenant à 1) diversifier ses sources d’approvisionnement en investissant dans les pays boycottés/sanctionnés par les occidentaux (Soudan, Iran, Angola, Vénézuéla) et 2) à créer ses propres corridors énergétiques que ce soit le long des côtes de l’Océan indien via des États « amis » comme le Cambodge, le Myanmar, le Sri Lanka ou l’Iran, ou via son grand et riche voisin du Nord, la Russie avec lequel le plus grand contrat gazier de l’histoire vient d’être signé.
De cette façon, Pékin sécurise ses approvisionnements en évitant de passer par la case «États-Unis».
Économiquement enfin, en étant le premier créancier des États-Unis, la Chine est également sa plus grande menace. En décembre dernier, le gouvernement chinois, irrité par les crises à répétition sur le relèvement du plafond de la dette à la chambre des représentants a mis en application une menace faite quelques mois plus tôt en mettant sur le marché, juste avant Noël, 55 milliards $. La volonté… désaméricaniser les fonds de la banque centrale chinoise, qui possède les plus grandes réserves de dollars au monde… tout en envoyant le signal international que la Chine, qui sera la première économie mondiale en 2016, ne fait plus confiance à la devise américaine (déjà affaiblie depuis 10 ans par l’émergence de l’euro) et qu’elle ne financera plus la dette américaine.
Si cette stratégie globale et multiforme fonctionne, les États-Unis n’auront plus, à moyen terme, les moyens de leurs ambitions en Asie et n’auront plus de contrôle stratégique direct sur la Chine, qui malgré la pression à ses frontières, sera parvenue à se libérer de l’endiguement américain sans combattre.
Par Guillaume A. Callonico