Partager la publication "Quand la France rejoint les États-Unis. Brève histoire de l’évolution des relations franco-américaines de 1958 à 2014"
En 2007, la France, puissance moyenne possédant des outils militaires importants, réintègre le commandement intégré de l’OTAN. Depuis, elle participe activement dans diverses missions militaires aux côtés des Américains. La plus connue est l’intervention en Libye en 2011 (Opération Harmattan) ainsi que la récente mission militaire contre l’État islamique (ISIS). L’historien des relations internationales est amené à se questionner sur les origines de ce rapprochement actif auprès des États-Unis. Depuis l’arrivée de Charles de Gaulle à la tête de la Ve République française (1958), le gouvernement français cultive une politique d’indépendance des actions face aux États-Unis. De Gaulle ne critique pas la raison d’être de l’OTAN, mais bien son système militaire intégré qu’il juge soumis aux intérêts américains[1]. Si le retrait de la France du commandement intégré de l’OTAN en 1966 permet à Paris de retrouver sa « souveraineté militaire »[2], elle laisse néanmoins un froid durable dans les relations franco-américaines. En conséquence, les États-Unis sont contraints de repenser leurs protocoles de défense. La politique gaullienne exaspère les États-Unis, puisque de Gaulle se rapproche économiquement de Moscou et entretient une politique pro-arabe pendant la guerre des Six Jours (1967). Si ces mesures permettent à Paris d’établir une politique de prestige et de manœuvrer plus librement sur la scène internationale, elle ne cache pourtant pas le confinement du statut de puissance moyenne dans lequel la France se retrouve depuis 1945[3]. La France, afin de conserver son indépendance sur la scène internationale, nécessite l’appui d’une grande puissance pour la soutenir dans ses projets politiques. C’est bien pour limiter l’influence américaine dans les affaires extérieures de la France que de Gaulle amorce un rapprochement politico-économique avec l’URSS.
Si les évènements de mai 68 marquent l’essoufflement du régime gaullien, les successeurs du président de Gaulle peinent à effacer son héritage diplomatique et, en conséquence, sont invités à repenser leurs relations avec le géant américain. Sous Pompidou (1969-1974), dans un contexte de détente entre les deux superpuissances, ce-dernier opère un rapprochement avec les États-Unis. Cependant, ce rapprochement échoue rapidement à la suite de l’initiative du président Nixon de suspendre la convertibilité du dollar en or. Cette mesure est alors perçue par Paris comme une attaque directe sur les finances des pays européens[4]. La France, pourtant, persiste et tente à nouveau de se rapprocher de la puissance américaine, comme le prouve la politique de Giscard d’Estaing (1974-1981). Reconnaissant la position de « grande puissance moyenne » de la France[5], le nouveau président français dirige une diplomatie pragmatique et conciliatrice. Atlantiste convaincu, il signe, en 1974, la déclaration sur les relations atlantiques. Cette signature rassure Washington à propos du désir de la France de coopérer au sein de l’OTAN tout en donnant à Paris la chance de participer plus activement dans la construction du projet européen[6]. Cependant, les mauvais rapports avec le président Jimmy Carter ainsi que le maintien de bonnes relations franco-soviétiques (en dépit de la guerre en Afghanistan) provoquent un refroidissement des relations entre les deux pays. Ce sera sous François Mitterrand (1981-1995) que la France rompt avec la tradition gaullienne, puisque l’évolution du système international rend difficile toute volonté d’autonomie diplomatique française.
Depuis la chute du Bloc de l’Est (1989-1991), la politique étrangère française se désoriente. Comme le géant soviétique ne contrebalance plus les États-Unis, la France ne peut plus jouer une politique de bascule entre les deux puissances. Forcé de s’adapter, Mitterrand choisit le camp américain pendant la crise du Golfe de 1991. Abandonnant son partenaire économique irakien[7], la France se joint à la coalition dirigée par les États-Unis afin d’affirmer « l’influence de la France au futur, à valeur de compensation pour le relatif effacement que commanderait la crise au présent »[8]. Si la participation française au conflit s’avère négligeable (2.3% des troupes terrestres), elle n’en demeure pas moins un membre actif dans la coalition, comme le témoigne l’initiative française amenant les coalisés à décréter un embargo contre l’Irak[9].
Qu’a obtenu la France de cette collaboration avec les États-Unis? En réalité, bien peu, sinon le maintien d’une certaine forme de liberté d’action sur la scène internationale ainsi qu’un rapprochement temporaire avec la puissance américaine. À partir de 1991, la France se retrouve dans une position précaire et pour préserver sa liberté d’action sur la scène internationale, elle choisira d’agir dans le cadre de l’OTAN. Cette stratégie s’avère avantageuse pour la France pour trois raisons. Premièrement, la France peut effectuer ses opérations internationales avec l’accord tacite des Américains. Deuxièmement, elle évite l’isolement sur la scène internationale en se ralliant à une organisation militaire puissante. Troisièmement, Paris resserre les liens avec un gouvernement américain qui emploie, au sein d’un monde post-guerre froide de plus en plus instable, l’OTAN, comme un « bras armé » pour établir un nouvel ordre mondial démocratique[10].
Cette nouvelle position n’empêche pas le gouvernement français de vouloir conserver une liberté d’action face aux Américains, mais cette fois au sein de l’Alliance atlantique. Jacques Chirac utilise cette plate-forme pour prendre des initiatives politico-militaires pendant les conflits de l’ex-Yougoslavie dans les années 1990. Le président français tente aussi d’actualiser l’Alliance atlantique en faisant rentrer la France au Comité militaire de l’OTAN en 1995[11]. Si des désaccords surgissent entre la France et les États-Unis sur divers points (le droit de commercer avec des États voyous), la France reste solidement arrimée à l’Alliance atlantique et par conséquent aux États-Unis. Même le refus de la France de se joindre à la guerre contre l’Irak en 2003 n’a pas empêché cette dernière de continuer à participer aux activités militaires de l’OTAN en Afghanistan.
Pour conclure, un paradoxe semble se dessiner sur le plan de la diplomatie française. Afin de conserver une liberté de manœuvre face aux États-Unis, la France doit participer aux activités d’une organisation militaire internationale (l’OTAN) influencée par Washington. C’est pourquoi l’historien des relations internationales doit se questionner à propos des buts recherchés par la France dans la présente intervention en Syrie contre l’État islamique. Il s’avère cependant certain que l’actuel gouvernement français cherche à maintenir une liberté d’action sur la scène mondiale.
Francis Abud (M.A. Histoire),
Historien, conférencier aux Belles Soirées de l’Université de Montréal et enseignant.
Bibliographie
- Monographies
Allain, Jean-Claude; Guillen, Pierre; Soutou, George-Henri; Theis, Laurent; Vaïsse, Maurice. Histoire de la diplomatie française II. De 1815 à nos jours, Paris, Éditions Perrin, 2007, 636 pages.
Frank, Robert (dir). Pour l’histoire des relations internationales, Paris, Presses universitaires de France, 2012, 756 pages.
Harrison, Micheal M. The Reluctant Ally. France and Atlantic Security, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1981, 304 pages.
Giol, Charles. De Jaurès à Sarkozy. Histoire de France de 1914 à nos jours, Paris, Presses universitaires de France, 2008, 245 pages.
- Articles de périodiques
Saul, Samir. La France et la crise du Golfe 1990-1991 : analyse politico-économique d’un virage, Revue d’Études internationales, Vol 26, no1, 1995, pp. 83-111.
Imlay, Talbot. A Success Story? The Foreign Policies of France’s Fourth Republic, Contemporary European History, Vol 18, 04, 2009, pp 499-519.
[1] Allain, Jean-Claude; Guillen, Pierre; Soutou, George-Henri; Theis, Laurent; Vaïsse, Maurice. Histoire de la diplomatie française II. De 1815 à nos jours, Paris, Éditions Perrin, 2007, p.444.
[2] Charles, Giol. De Jaurès à Sarkozy. Histoire de France de 1914 à nos jours, Paris, Presses universitaires de France, 2008, p.156.
[3] Allain, Jean-Claude, op, cit p. 408.
[4] Allain, Jean-Claude, op, cit, p. 480.
[5] Charles, Giol, op, cit, p. 196.
[6] Micheal M, Harrison. The Reluctant Ally. France and Atlantic Security, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1981, p.187.
[7] Par le biais, entre autre, de la vente d’armes, du partenariat dans le développement du nucléaire et des contrats pour les entreprises françaises.
[8] Samir, Saul. La France et la crise du Golf 1990-1991 : analyse politico-économique d’un virage, Revue d’Études internationales, Vol 26, no1, 1995, p. 84.
[9] Idem, p. 85.
[10] Frank, Robert (dir). Pour l’histoire des relations internationales, Paris, Presses universitaires de France, 2012, p. 211.
[11] Allain, Jean-Claude, op, cit, p. 542.