Partager la publication "« La sortie de guerre » nouveau sujet d’étude des relations internationales : le cas français de 1919-1929"
L’histoire des relations internationales est un domaine touchant généralement les causes, le déroulement puis les conséquences d’un conflit. Peu d’intérêt a été porté sur les différentes méthodes et phases permettant aux chefs d’État et aux individus ayant participé à un conflit de passer du stade guerrier à l’étape de « retour à la normalité ». Il s’agit bien d’une normalité modifiée par l’expérience de guerre. L’article dressera les principaux concepts et étapes nécessaires à une sortie de guerre pour ensuite présenter l’expérience de démobilisation politique, culturelle et diplomatique française de 1919-1929.
Les sorties de guerres peuvent-elles faire partie des études de l’histoire des relations internationales? L’objet d’étude est en réalité un entre-deux puisque les historiens se penchent sur l’étude des « négociateurs de paix, de leurs objectifs, des limites imposées par leur image de l’ennemi d’hier et par l’horizon d’attente des nations qu’ils représentaient. »[1] L’historien s’attardera par ailleurs à étudier les effets de la sortie de guerre sur le temps long au niveau politique, économique et culturel.
Structure de la sortie de guerre
En quoi consiste la sortie de guerre et quelles en sont les étapes? La sortie de guerre n’a qu’un seul objectif soit apporter la paix sur la scène internationale comme à l’intérieur des États. Il existe deux types de sorties de guerre. La sortie de guerre « par le haut » concerne l’État victorieux où ce dernier veut maximiser les gains territoriaux acquis pendant le conflit. Une « sortie de guerre par le bas » vise à minimiser les effets du conflit pour la puissance vaincue. Pour François Géré, le retour à la paix exige donc une phase de conflit militaire intensif et c’est l’utilisation même de l’outil militaire qui pose le problème du type de sortie de guerre à utiliser[2]. Ainsi, durant les négociations en vue du traité de Versailles de 1919, les Alliés n’ont pas hésité à dénoncer l’utilisation de gaz toxiques par les Allemands afin de négocier des clauses plus avantageuses.
Les sorties de guerre comportent plusieurs étapes. La première est de mettre fin « au processus guerrier qui produit la mort de masse. »[3] La seconde étape consiste en l’économie morale de la reconnaissance[4]. C’est durant ce moment de transitions que les États célèbrent le retour des survivants et le sacrifice des morts via des cérémonies, des attributions de médailles et des monuments commémoratifs. La troisième phase est celle de la démobilisation culturelle étatique et sociétale. Cette étape peut s’étaler sur plusieurs années et fait partie du temps moyen et long. Elle demeure très difficile à encadrer puisque l’État se désengage souvent de ce type de démobilisation. La démobilisation culturelle touche le retour à la normalité pour les décideurs politiques, les anciens combattants ainsi que les civils ayant vécu le conflit. Il s’agit d’une démobilisation physique comme psychologique. Pour un décideur politique, il est question de savoir comment le conflit va affecter son processus décisionnel sur la scène internationale.
L’après-guerre des décideurs français 1919-1929. Entre désir de revanche et coopération avec l’Allemagne.
La France sort de la Grande Guerre affaiblie autant au niveau démographique qu’économique. Néanmoins, cela ne l’empêche pas d’enclencher son propre processus de sortie de guerre. Après les combats de 1914-1918, la paix négociée à Versailles est perçue comme porteuse de revanche sur les Allemands[5]. Rapidement, les soldats demandent à être démobilisés. Plutôt que de donner la priorité aux besoins économiques –donc démobiliser par corps de métier – on démobilise par ancienneté et par année de service (principe jugé plus égalitaire). Vient ensuite la seconde sotie de guerre, celle de la célébration des survivants et des morts. À cet effet, le gouvernement français crée des monuments sur tous les champs de bataille et dans les villes dites « martyres ».
À cette démobilisation culturelle se rajoute un esprit de revanche. Selon les accords du traité de Versailles, la France doit occuper la Rhénanie. Pour les soldats français, l’occupation du territoire allemand constitue une forme de sortie de guerre nécessaire puisqu’il s’agit de venger la patrie assiégée pendant 4 ans[6]. Les soldats et le gouvernement français sont donc convaincus que la France doit apporter la justice et ses lois en sol ennemi. Au niveau des relations internationales, la sortie de guerre des décideurs est marquée par plusieurs étapes de démobilisation mentale et politique via l’Allemagne. Pour résumer, de 1919 à 1923, un esprit revanchard caractérise les relations avec l’Allemagne. Les décideurs français cherchent à affaiblir le gouvernement de Weimar notamment par l’occupation de la Rhénanie et de la Ruhr. Cette politique a comme effet d’accentuer la déstabilisation du gouvernement allemand et de favoriser la montée de l’extrême droite et de l’extrême gauche allemande. La seconde phase est celle de 1923-1933. Pour la diplomatie française, l’objectif n’est plus d’écraser l’Allemagne, mais plutôt d’apprendre à travailler avec elle[7]. C’est dans cet esprit que les accords de Locarno, 1925, permettant à Weimar d’intégrer la S.D.N., et de renégocier certaines clauses du traité de Versailles, sont signés. Pour le chef de la diplomatie française, Aristide Briand, les accords permettront à la France de détendre les relations avec un nouveau partenaire économique.
C’est ici que l’historien frappe un mur : concernant le conflit de 1914-1918, quand la sortie de guerre des Français se termine-t-elle ? Sur un temps court, elle se termine avec le traité de Versailles. Sur le temps moyen, prend-t-elle fin lors de l’évacuation du dernier soldat français de la Sarre en 1923? Sur le temps long, se conclut-elle enfin en 1939 avec la Seconde Guerre mondiale? Les recherches sur le sujet continuent et il est nécessaire de rappeler que si l’article a mis l’accent sur la sortie de guerre de la diplomatie française, la sortie de guerre de la population civile française, à l’égard de la Première Guerre mondiale, demeure toujours difficile à cerner.
Francis Abud (M.A.) Histoire, Université McGill
Bibliographie
Monographies
Cabanes Bruno. La victoire endeuillée. La sortie de guerre des soldats français (1918-1920), Paris, Édition Seuil, 2004, 549 pages.
Articles de périodiques
Sophie Baby, Sortir de la guerre civile à retardement : le cas espagnol, Histoire@Politique. Politique, culture,société, No3, novembre-décembre 2007, pp.1-13.
Bruno Cabanes, Guillaume Piketty, « Sortir de la guerre : jalons pour une histoire en chantier », Histoire@Politique. Politique, culture,société, No3, novembre-décembre 2007 pp. 1-8.
François Géré, « La manœuvre de sortie de guerre », Revue historique des armées, vol 245, 2006, pp. 62-77.
John Horne, « Demobilizing the Mind: France and the Legacy of the Great War, 1919-1939, papers from the George Rudé Seminar, French History and Civilization, 2009, pp. 101-119.
« Finir la guerre, sortir de la guerre ? », www.cndp.fr/entrepot/…/CH9-LaGrandeGuerre_03.pd, pp.55-59.
[1] Bruno Cabanes, Guillaume Piketty, « Sortir de la guerre : jalons pour une histoire en chantier », Histoire@Politique. Politique, culture,société, No3, novembre-décembre 2007 pp. 1.
[2] François Géré, « La manœuvre de sortie de guerre », Revue historique des armées, vol 245, 2006, pp. 63.
[3] « Finir la guerre, sortir de la guerre ? », www.cndp.fr/entrepot/…/CH9-LaGrandeGuerre_03.pd p. 55.
[4] Bruno Cabanes, Guillaume Piketty, op, cit, p. 4.
[5] John Horne, « Demobilizing the Mind: France and the Legacy of the Great War, 1919-1939, papers from the George Rudé Seminar, French History and Civilization, 2009, pp. 105.
[6] Bruno Cabanes. La victoire endeuillée. La sortie de guerre des soldats français (1918-1920), Paris, Édition Seuil, 2004, 549 pages.
[7] John Horne, op, cit p. 108.