Depuis l’automne 2014, les prix du baril de pétrole ont été divisés par quatre. Avant que l’OPEP ne prenne la décision de maintenir sa production au niveau de 2011, le baril s’échangeait autour de 110$ contre 28$ aujourd’hui. Si l’Arabie Saoudite est l’initiatrice de cette dégringolade des prix, elle n’en est pas l’unique responsable et ses actions s’inscrivent dans un contexte régional et mondial compétitif et tendu.
Retour sur les facteurs influençant la chute des cours du pétrole
L’Arabie Saoudite lance les hostilités en novembre 2014 en refusant tout consensus de l’OPEP qui envisagerait la réduction de la production de pétrole suite à l’annonce, l’été précédent, du ralentissement brutal de la production industrielle chinoise, au plus bas depuis la crise de 2008. Dans un contexte de surproduction issue de l’intense concurrence de l’industrie du pétrole de schiste aux États-Unis – qui n’avait pas pompé autant depuis le pic de 1970 – et des records de l’industrie pétrolière russe (graphique 1), l’Arabie Saoudite a voulu affronter ses deux concurrents d’un seul front en provoquant la chute des cours par l’augmentation de sa propre production. Dès les lendemains du sommet de l’OPEP du 27 novembre 2014, le royaume wahhabite augmentait sa production de près de 600 000 barils par jour (bj), accentuant la chute des cours du brut en bourse.
Mais les motivations de Riyad n’étaient pas que compétitives, elles étaient également guidées par la rivalité avec l’Iran. En prenant la décision de maintenir la production à des niveaux élevés, le Royaume s’assurait que tout retour du pétrole iranien sur le marché mondial ne pourrait pas servir les intérêts financiers du régime des Mollahs – soumis à d’imposantes sanctions depuis 2012.
Le contexte engendré par l’Arabie saoudite à l’automne 2014 est entretenu par un été 2015 particulièrement turbulent. C’est avant tout le ralentissement de la croissance chinoise, premier facteur de l’augmentation de la consommation mondiale de pétrole, qui maintient la pression à la baisse. Ainsi, la réduction de la demande chinoise, même légère, accentue fortement les cours du baril de pétrole en renforçant le déséquilibre existant entre l’offre, surabondante, et la contraction inévitable de la demande.
Simultanément l’annonce de la signature d’un accord sur le nucléaire iranien entre les grandes puissances et Téhéran, malgré la vive protestation de Riyad, signale le retour imminent de 800 000 barils supplémentaires par jour d’ici le printemps 2016, ajoutant au contexte de surproduction entretenu depuis par le maintien de la tactique de défense des parts de marché de l’Arabie saoudite, l’annonce (fin décembre 2015) d’un nouveau record de production de la Russie (10,78 mbj) et d’une stabilisation de la production américaine contre toute attente (à 9,2 mbj).
Et depuis 2016…
Les incertitudes de l’économie chinoise stressent de nouveau les marchés. Les mauvais résultats de ses places boursières associées aux craintes d’une nouvelle dévaluation du Yuan et d’un ralentissement économique renforcé font anticiper une demande moins élevée en pétrole, tirant les cours vers des niveaux jamais vus depuis près de 13 ans. Même les récents clashs entre l’Arabie Saoudite et l’Iran – qui d’ordinaire influenceraient positivement les cours du pétrole – n’ont eu aucun impact.
Ainsi, trois grandes causes sont à l’origine des faibles prix actuels. La surabondance de l’offre découlant de l’intense concurrence des productions américaine, russe et saoudienne; la rivalité historico-stratégique entre l’Arabie saoudite et l’Iran, puis le ralentissement de l’économie chinoise. Enfin et dans une moindre mesure, au moins trois autres facteurs transversaux accentuent la chute des prix du pétrole à moyen-long terme. Il s’agit d’abord de la forte appréciation du dollar américain – le baril étant libellé en USD, son appréciation par rapport aux autres devises entraîne une baisse relative du prix du baril, puis de la levée de l’interdiction d’exporter le pétrole des États-Unis et de la conversion progressive des économies occidentales à la démographie déclinante vers des sources d’énergie moins polluantes.
Gagnants et perdants : des conséquences asymétriques
Au-delà d’un plein d’essence à moindre coût, la division par quatre des prix du baril de brut fait émerger des risques politiques importants sur de nombreux pays producteurs dont la stabilité demeure souvent dépendante de la rente pétrolière. Cette rente est nécessaire à la survie de régimes autoritaires sans laquelle ils ne peuvent plus assurer la redistribution et financer le clientélisme leur permettant de maintenir leur emprise sur le pouvoir.
Ainsi l’Iran, l’Angola, le Nigéria, la Libye et l’Algérie sont des pays sensibles à une baisse forte et prolongée des prix du pétrole, car cela met en péril les fondements budgétaires de leur autorité prétorienne et fait croître le risque d’instabilité politique. Mais le pays producteur le plus vulnérable demeure sans aucun doute le Venezuela. Empêtré dans une profonde crise économique puis politique, la perte des revenus pétroliers ne peut qu’alimenter dangereusement un environnement déjà explosif.
L’Arabie Saoudite fait aussi les frais de sa propre stratégie en creusant son déficit budgétaire de 15% en 2015. Mais ses larges réserves de change (90% du PIB) pourraient lui permettre de tenir la cadence encore trois à quatre années supplémentaires au même rythme sans trop en souffrir.
Au Canada, la dévaluation vertigineuse de sa devise n’est que la partie visible de l’iceberg. L’économie de l’Alberta, connue pour ses sables bitumineux, vacille. Le chômage augmente et l’immobilier est frappé de plein fouet par la crise du pétrole.
Du côté des pays importateurs, l’Inde, la Chine ou l’Europe devraient être les grands gagnants de ce bouleversement énergétique, car les faibles prix du pétrole aident à rééquilibrer les balances commerciales et améliorer les soldes de la balance courante, tout en nourrissant la croissance économique. Dans le cas de l’Inde, comme le pétrole représente le tiers de ses importations, toute réduction, même faible, alimente positivement la croissance en diminuant l’inflation. Comme le ralentissement chinois est en partie responsable des prix actuels, les faibles cours permettent à la deuxième économie mondiale d’éviter un ralentissement plus brutal.
En Europe, le contexte de très faible inflation limite le jeu de transfert automatique de croissance. On aurait alors pu s’attendre à ce que les 300 milliards d’euros d’économies (25% du PIB du Canada) réalisées par l’effondrement des prix du pétrole soient réinvestis en dépenses de consommation, de service ou de loisirs. Ce n’a pas été le cas. Alors que plusieurs économistes estimaient qu’une telle baisse du coût de l’énergie pouvait représenter jusqu’à 0,7% de transfert de croissance, le PIB de la zone euro n’a crû que de 0,2% entre 2014 et 2015 – essentiellement tiré par le redressement de l’Espagne et de l’Italie plutôt que par la baisse des prix du pétrole.
Guillaume A. Callonico
Expert en géopolitique