La présence de peuples autochtones[1] ne se limite pas aux Amériques et à l’Australie comme la perception populaire nord américaine semble le véhiculer. Les pays nordiques européens – dans ce cas-ci la Finlande, la Suède, la Norvège[2] – gèrent eux aussi le territoire autrefois habité en toute liberté par des peuples autochtones. Dans ce texte, nous verrons comment les États nordiques approchent la question.
Les Sami[3] ont été reconnus par l’ONU en tant que peuple autochtone et sont donc protégés par la Convention relative aux peuples indigènes et tribaux. Cette entente leur octroie le droit de protéger leur langue, leur culture, leurs modes de vie, leurs traditions et leur identité. On ne dispose d’aucun recensement officiel des Sami (qu’on appelait souvent Lapons, un terme péjoratif[4].) Ces autochtones vivent dans une région appelée Sápmi (qui correspond plus ou moins exactement à la Laponie, une province historique de la Suède et une région historique de Finlande). Cependant, leur population est estimée entre 80 000 et 100 000 personnes réparties sur quatre pays : 20 000 à 40 000 en Suède, 50 000 à 60 000 en Norvège, environ 8000 en Finlande et 2000 en Russie. Les Sami sont concentrés dans la partie la plus au nord, tel qu’indiqué sur la carte ci-dessous.
Historiquement, la survie culturelle du peuple sami a reposé en partie sur leur occupation d’un territoire difficile à contrôler par les États. Tout comme plusieurs peuples d’Amérique latine ou du massif sud-est asiatique, une région économiquement peu intéressante et géographiquement difficile d’accès a permis à ces gens d’échapper à l’assimilation par les structures étatiques… jusqu’à ce que l’État moderne westphalien acquière les moyens techniques et juridiques pour y étendre son emprise[5]. Le découpage des territoires des Sami entre 4 États s’est fait, grosso modo, entre le milieu du 17e et le milieu du 19e siècle. Le monde sami, à partir de ce moment, a été découpé et administré selon une logique de souveraineté étatique exclusive appartenant aux peuples du sud. Face à cette prise de contrôle, de nombreux Sami, notamment en Suède, ont rapidement développé des pratiques de résistance contre l’assimilation qui leur permet, encore aujourd’hui, d’exister comme peuple[6].
Même si on considère en général les Sami comme un seul peuple, le langage, les modes de vie ainsi que leur traitement par les États qui contrôlent leur territoire varient considérablement. Le travail plus analytique, pays par pays, est présenté dans des articles complémentaires à celui-ci, respectivement sur la Norvège, la Suède et la Finlande.
En revanche, on peut synthétiser et faire ressortir les principales similitudes de la condition des Sami dans ces 3 pays. Les pays européens avec une minorité sami vivent une situation assez répandue en ce qui a trait aux relations avec les autochtones: si « sur papier » de nombreux droits leur sont octroyés, en pratique les parlements sami et les services gouvernementaux, mis en place pour répondre aux besoins particuliers qui découlent de leurs droits légaux, manquent de ressources. Un rapport déposé en 2011 à l’assemblée générale de l’ONU conclut que si la situation des autochtones dans ces pays est bien meilleure qu’ailleurs dans le monde, il serait tout de même nécessaire d’augmenter les budgets pour la protection des langues et de la culture des Sami[7].
Plus récemment, le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU[8] a identifié un nouvel élément de préoccupation dans la relation avec les Sami : les technologies d’exploitation et l’évolution de la demande sur les marchés mondiaux ont rendu les ressources de leur région, notamment forestières et minières, économiquement profitables. Soudain, le relatif isolement, déjà amoindri par l’arrivée des routes et des réseaux de communication modernes, ne garantit plus l’absence de compétition pour l’accès et l’utilisation du territoire et de ses ressources. Conserver son entière autonomie lorsqu’on habite un territoire marginal est relativement aisé mais devient plus complexe quand le territoire devient convoité par l’État westphalien qui le considère comme relevant de sa souveraineté exclusive!
En matière de droit international, trois ententes imposent aux États de respecter le droit coutumier de propriété de la terre des Sami:
- le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (en vigueur en 1976),
- la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (en vigueur en 1969) ainsi que
- la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (Votée en 2007, avec l’appui de la Finlande, la Norvège et la Suède, mais contre l’avis du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et des États-Unis)
En vertu de ces traités légalement contraignants, l’expropriation, même pour des projets de développement économique et d’exploitation de ressources naturelles pour le bien commun de l’ensemble de la population de l’État, représente, selon plusieurs juristes de la région, une contrainte importante aux droits des Sami.
En ce moment, et ce malgré une certaine volonté politique de trouver une solution, aucun de ces trois États n’est jugé, par les instances internationales de droits humains, disposer d’un cadre régulateur pleinement satisfaisant pour protéger les Sami contre les investissements qui ont un potentiel nuisible socialement et écologiquement. En réalité, les droits des Sami semblent peu peser face à des gains économiques d’acteurs privés des peuples du sud de la Fennoscandie.
Par contre, depuis 2005, une Convention Nordique Sami[9] est projetée, entre les autorités locales sami et les parlements des États finlandais, suédois et norvégien. L’objectif est de clarifier, dans une perspective transnationale et internationale :
- la question de l’autodétermination,
- de la non-discrimination, de la gouvernance Sami et de la relation de ces autorités avec leurs États respectifs,
- la protection de la langue et de la culture ainsi que
- les droits fonciers, sur les cours d’eau et sur les ressources nécessaires au mode de vie sami.
Cette approche est prometteuse puisqu’elle harmoniserait et clarifierait la situation. Cependant, si elle a été signée le 13 janvier 2017, cette convention reste encore à faire ratifier par les parlements de toutes les parties impliquées, ce qui n’est pas chose accomplie. Par ailleurs, elle ne répond pas à l’ensemble des revendications et des préoccupations des Sami, telles qu’exprimées, par exemple dans le Saami Manifesto 15. Il semble donc que, malgré la démonstration d’une certaine volonté politique de respecter le peuple sami sans trop déranger les intérêts de la population dominante, les pays nordiques n’ont pas encore trouvé la solution idéale pour la cohabitation réellement harmonieuse avec les autochtones.
Par Jano Bourgeois
Professeur de science politique au Collège Jean-de-Brébeuf
Membre associé CIRDIS
Lisez l’introduction au dossier ainsi que d’autres articles sur la Scandinavie+Finlande
[1] Nous préférerons utiliser le terme « autochtone » et ses dérivés plutôt que celui, parfois négativement connoté en langue française, d’« indigène ».
[2]La Russie compte aussi une minorité sami, mais nous n’abordons pas leur situation.
[3] Parfois orthographié « Saami ».
[4] Le terme « lapon » est celui par lequel les peuples du sud de la fennoscandie (voir texte sur la géographie de la région et les données de base) désignaient les Sami, l’identité qui leur avait été imposée.
[5] James C. Scott. 2009. The Art of Not Being Governed: An Anarchist History of Upland Southeast Asia, New Haven, Yale University Press.
[6] Daniel Lindmark. 2013. “Colonial Encounter in Early Modern Sápmi.” pp. 131-146 dans le livre Scandinavian Colonialism and the Rise of Modernity: Small Time Agents in a Global Arena
[7] United Nations, General Assembly. 2011. The situation of the Sami people in the Sápmi region of Norway, Sweden and Finland, Report of the Special Rapporteur on the rights of indigenous peoples, James Anaya, Human Rights Council Eighteenth session, http://www.ohchr.org/Documents/Issues/IPeoples/SR/A-HRC-18-35-Add2_en.pdf
[8] United Nations, General Assembly. 2016. Report of the Special Rapporteur on the rights of indigenous peoples on the human rights situation of the Sami people in the Sápmi region of Norway, Sweden and Finland, Human Rights Council Thirty-third session, http://www.refworld.org/docid/57cd77714.html.
Bibliographie
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Hansen, K.L., Melhus, M., Høgmo A. et Lund E. 2008. « Ethnic discrimination and bullying in the Sami and non-Sami populations in Norway: the SAMINOR study. », International Journal of Circumpolar Health. Février 2008; 67(1): 97-113.
Holmberg, Niillas et Jenni Laiti. 2015. THE SAAMI MANIFESTO 15: RECONNECTING THROUGH RESISTANCE, 23 mars 2015.
Joona, Tanja. 2005, « The Political recognition and Ratification of ILO Convention No. 169 in Finland, with some comparison to Sweden and Norway ». Nordic Journal of Human Rights, Vol. 23 (3), pp 306-321.
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Pikkarainen, Heidi et Björn Brodin. 2008. Discrimination of the Sami – the rights of the Sami from a discrimination perspective, Ombudsmannen mot etnisk diskriminering (DO) DO report no. 2008:1 eng, Stockholm 2008.
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