Donald Trump est vu par plusieurs comme l’incarnation même du populisme. Il a certainement réussi à capter les inquiétudes et les frustrations d’une partie de la population américaine, notamment face à la baisse graduelle de son pouvoir d’achat. Il a également su traduire l’impression de plus en plus partagée que les élites politiques et financières associées aux deux principaux partis, sont largement responsables des malheurs du peuple américain. Fait notable et pour le moins inhabituel, Donald Trump ne mentionne que très rarement le parti républicain dans ses adresses publiques.
Pourtant, si une bonne partie de l’establishment républicain actuel le répudie, Donald Trump puise bel et bien ses idées dans les différents courants qui constituent le mouvement conservateur depuis les années 1960. En dressant une brève histoire intellectuelle du parti républicain, on peut identifier la source des positions de Trump sur la classe politique, l’immigration, le libre-échange et la rectitude politique.
Dans la foulée du mouvement des droits civiques, qui visait à conférer des droits politiques à la minorité afro-américaine et à abolir la ségrégation instaurée dans plusieurs États du sud, les présidents démocrates John F. Kennedy et Lyndon B. Johnson ont fait le pari de favoriser l’émancipation de la communauté noire. Les États du sud, qui avaient jusque là été fidèles au parti démocrate, se sont alors tournés vers le parti républicain.
Le changement d’allégeance de l’électorat blanc du sud, la libéralisation soudaine de la société américaine, les mouvements d’opposition à la guerre du Vietnam et les émeutes dans de nombreux quartiers noirs de villes comme Détroit et Los Angeles, ont grandement contribué à la victoire du républicain Richard Nixon, qui s’est présenté comme le candidat de la loi et l’ordre. Bien que le nationalisme blanc et le mouvement suprématiste existent depuis déjà longtemps à l’époque, l’émancipation des afro-américains et l’émergence du multiculturalisme ont contribué à entretenir cette tendance, il est vrai minoritaire, qui a cohabité tant bien que mal avec un conservatisme plus modéré jusqu’à aujourd’hui.
Au courant des années 1970, la société américaine continue de se transformer en profondeur. La révolution sexuelle, la désintégration graduelle de la famille nucléaire, les mouvements pour les droits des minorités et l’augmentation de la consommation de drogue chez les jeunes, sont autant de phénomènes qui inquiètent une variété d’intellectuels près du parti républicain.
Craignant la dissolution du lien social et de l’unité de la nation américaine, certaines figures associées au mouvement néoconservateur comme Irving Kristol, s’engagent à reconstruire la base idéologique du parti républicain. Pour ce faire, les néoconservateurs lancent plusieurs publications (ex. Commentary) et think tanks (ex. American Enterprise Institute), qui prônent généralement un retour à l’ordre et à la tempérance pour l’ensemble de la société américaine, en même temps qu’ils favorisent une application plus stricte des principes du libre-marché. On peut supposer que l’élection de Ronald Reagan en 1980 n’est pas étrangère à l’influence de Kristol et de ses collègues.
Toujours dans les années 1980, des mesures que l’on associe généralement au néolibéralisme comme la réduction des impôts, l’élimination graduelle de la réglementation et les coupures dans les programmes sociaux, combinées à l’attachement durable aux droits et libertés individuelles comme le port d’armes et la persistance d’un certain conservatisme social, deviennent le cœur du programme politique républicain.
À la même époque, les intellectuels néoconservateurs continuent de bénéficier d’un accès privilégié au pouvoir et misent sur l’autorité de l’État pour restaurer un sens de la responsabilité morale aux individus et familles qui perçoivent l’aide sociale et aux criminels. Ces idées sont reprises par les deux partis. Bill Clinton a contribué de manière significative à l’avancement de cet agenda à travers sa réforme de l’aide sociale (« end welfare as we know it ») et de la lutte à la criminalité (la loi « Three Strikes and You’re Out »).
Les années 90 marquent un tournant important dans la configuration du mouvement conservateur aux États-Unis. Des idéologues plus extrêmes comme Pat Buchanan, un conservateur traditionaliste qui se présente comme le défenseur de la civilisation judéo-chrétienne et qui s’oppose à l’avortement, l’homosexualité, l’immigration et au libre-échange, se font plus visibles sur la scène politique.
Alors que les républicains reprennent la chambre des démocrates en 1994, on assiste à un durcissement considérable de leurs positions sur la loi et l’ordre et les dépenses liées aux programmes sociaux. Dans le même temps, une nouvelle génération d’intellectuels néoconservateurs, qui se concentrent cette fois sur la politique étrangère, s’efforce de donner une nouvelle impulsion à l’influence américaine dans le reste du monde en proposant un réinvestissement massif dans la défense.
En marge de ces développements, l’inauguration de réseaux d’information continue comme Fox News (droite) et de MSNBC (gauche) en 1996 contribue à l’augmentation marquée de la polarisation du débat public. Malgré le fractionnement du mouvement conservateur et le changement de ton qui s’opère dans l’espace public, le parti républicain demeure relativement unifié sous la gouverne de George W. Bush, dont la politique étrangère post 11 septembre s’inspire largement des postulats néoconservateurs.
La crise financière de 2007-2008 et l’élection du premier président afro-américain, Barack Obama, vont à leur tour favoriser l’essor de tendances plus radicales au sein du parti républicain. C’est à ce moment que le Tea Party, mouvement plutôt hétéroclite qui s’oppose farouchement à l’intervention du gouvernement fédéral (surtout aux impôts et à la réglementation), va faire son apparition. Relativement bien représenté dans l’arène politique et bien financé, le Tea Party est à l’origine des blocages répétés aux congrès dans les dernières années et des attaques particulièrement désobligeantes à l’endroit de Barack Obama. Quoique le mouvement ait toujours rejeté les accusations de xénophobie, on peut croire que certains éléments racistes militaient ou militent encore dans ses rangs.
La nomination de Trump a donné une tribune inespérée à des forces sociales et culturelles jusque là relativement marginales. La droite alternative (alt. right), mouvance encore une fois assez hétéroclite, qui s’oppose à divers degrés au féminisme, à l’immigration, au multiculturalisme et à la rectitude politique, fait les manchettes depuis la nomination de Steven Bannon, ancien patron de la plateforme web ultraconservatrice et parfois ouvertement xénophobe Breitbart News, comme co-directeur de campagne de Donald Trump.
En effet, Trump a su rallier une partie des américains blancs de classe moyenne frustrés par la dégradation de leurs conditions économiques, par l’immobilisme de la classe politique et par l’impression que la pérennité de la race blanche est menacée aux États-Unis. En considérant les changements démographiques et les pronostiques peu reluisants pour l’économie américaine, il y a fort à parier que cette variante de la droite populiste, pour l’instant associée à Donald Trump, ne disparaitra pas de si tôt.
Ce bref survol nous permet de conclure que Trump, malgré les sérieuses réserves de son propre parti, s’inspire au fond de plusieurs courants historiques au sein du mouvement conservateur, tout en canalisant les frustrations d’une bonne partie de la population. Au bout du compte, il y a lieu de se demander si l’élite du parti républicain n’a pas été trop indolente face à la montée des extrémismes au sein de son propre parti depuis les années 90.
Philippe Fournier,
Chargé de cours et chercheur en science politique (UdeM)