Publié le 14 octobre sur 27etc, partenaire de Monde68, le 14/10/2014
Alors que la Commission Européenne avait salué les efforts budgétaires de la France lors de la validation de son budget pour 2014, il n’en est pas de même pour le projet de budget de 2015. Forte de son droit de regard depuis la mise en place du « Two Pack » en mai 2013, la Commission menace de rejeter le budget 2015 si le gouvernement ne réduit pas ses dépenses de huit milliards d’euros supplémentaires, et laisse au gouvernement français jusqu’au 15 octobre pour rectifier le tir, la Commission ayant ensuite jusqu’à fin novembre pour évaluer l’ampleur des dégâts.
Le projet de budget 2015 pour la France prévoit pourtant une économie de 21 milliards d’euros d’ici l’an prochain (surtout prélevées dans le budget de la sécurité sociale, des collectivités locales et de l’État). Au total, le gouvernement français espère économiser 50 milliards d’euros dans les trois prochaines années.
Bien que significative, cette réduction des dépenses n’est pas suffisante pour la Commission, car elle ne respecte pas les critères institués par le Traité de Maastricht visant à la mise en circulation de la monnaie unique. Alors que ce dernier prévoit un déficit des administrations publiques à hauteur maximale de 3% du PIB, le déficit des administrations publiques françaises s’élève aujourd’hui à 4,3% du PIB, un taux bien au-delà du plafond établi.
La France, qui s’était engagée à baisser son déficit des administrations publiques sous la barre des 3% avant 2014, abandonne ses objectifs qu’elle renvoie à 2017, une solution jugée inacceptable par la Commission.
Une politique de rigueur imposée par l’Union, conséquence de la crise financière
Ce projet de budget n’est que la continuation de la politique d’austérité mise en place après la crise économique et financière de 2007. En effet, depuis le coup porté à l’économie des pays de l’Union et plus particulièrement à ceux de la zone euro après l’avènement de la crise économique en 2007, les économies européennes souffrent toujours de l’austérité imposée.
Pour faire face à la crise, les membres de l’Union Européenne doivent agir rapidement : ils adoptent en juillet 2011 le Traité portant sur le Mécanisme Européen de Stabilité (MES). Ce dernier institue une organisation financière internationale visant à préserver la stabilité financière de la zone euro. Afin de compléter le MES, l’Union émet, en 2013, deux règlements lui donnant une réelle capacité d’action et de surveillance : Le Six Pack et le Two Pack. Tandis que le premier assure le renforcement de la cohérence des politiques économiques de l’Union, le Two Pack octroie à la Commission un droit nouveau : celui d’examiner les budgets nationaux. Si elle n’est pas satisfaite, elle peut demander à l’Etat Membre de réviser son projet. Si la France refuse de revoir son budget, la Commission européenne peut proposer au Conseil une sanction financière contre la France pouvant aller jusqu’à 0,2% de son PIB, soit 4 milliards d’euros.
La question du budget : un sujet qui fait mouche au gouvernement
En France, le budget est un débat sensible. En effet, en août 2014, le ministre de l’économie de l’époque, Arnaud Montebourg, après avoir critiqué la politique d’austérité du gouvernement, avait dû démissionner.Selon lui, il « faut cesser les politiques d’austérité car nous sommes en train de couler l’économie », une déclaration qui s’était accompagnée d’une proposition de baisse des impôts pour relancer la croissance.
Ainsi, ce n’est pas la première fois que la question du budget fait mouche au gouvernement, et il semble que c’est cette opinion qui soit actuellement soutenue au gouvernement. Pour le ministre des Finances Michel Sapin, « La France tient impeccablement les dépenses et a pris ses responsabilités ».
De plus, les Français rejettent une partie de leur frustration sur l’Union : « L’Europe doit, elle aussi, prendre ses responsabilités dans toutes ses composantes » affirme Sapin. Pour Montebourg, « La France est un pays libre qui n’a pas vocation à s’aligner sur les obsessions de la droite allemande ».
Des allégations justifiées ?
Ces allégations ne paraissent pas justifiées, et relèvent de la mauvaise foi des États Membres quand à la mise en œuvre de la politique économique commune. En effet, ce sont les États Membres qui ont signé, de façon volontaire, le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) par lequel ils se sont engagés à respecter les critères budgétaires remis en cause aujourd’hui.
En signant ce Pacte, les États Membres concernés ont abandonné leur droit de décision et se sont engagés à respecter les critères définis par l’Union. La remise en cause de ces critères semble être une remise en cause de l’autorité de l’Union même.
Alors que l’Europe est en crise de sens du fait de la montée de l’euroscepticisme et du fait de l’évolution du projet européen, le projet de budget français 2015 pourrait être l’occasion, pour la Commission, de réaffirmer son rôle dans le cadre de la politique budgétaire commune pour les pays de la zone euro. Forte du soutien de la chancelière allemande qui a toujours affirmé qu’elle « suivra la décision de la Commission », cette décision pourrait marquer un tournant décisif dans l’histoire de la Commission et dans la réaffirmation de son rôle en tant que figure autoritaire.
En effet, si l’Allemagne et ses alliés proches (Pays-Bas, Autriche, Pays Baltes, Finlande et Espagne) décident de soutenir la Commission dans sa décision de sanction contre la France, il sera difficile pour cette dernière d’y échapper (cette sanction ne pouvant être rejetée par le Conseil européen qu’avec au moins 255 sur 435 voix).
Mais la Commission va-t-elle saisir sa chance ? La nouvelle Commission Juncker qui entrera en fonction le 1er novembre et la Commission Barroso sortante semblent peu disposées à un bras de fer avec Paris, bien que les demandes de la Commission aient été soutenues par Christine Lagarde, directrice générale du FMI, qui a demandé à Paris des réformes structurelles majeures.
Lauren Yeh
Membre des Cabris de l’Europe