On compte aujourd’hui environ 38 000 organisations non-gouvernementales, dont 2000 sont accréditées au conseil économique et social des Nations unies, représentant l’incarnation de la « société civile internationale ». Parmi celles-ci, Greenpeace, reconnue pour son activisme, milite en faveur de la protection de l’environnement à travers des actions souvent spectaculaires . Dans sa forme originale, l’ONG renvoie à l’image d’une association pour la solidarité internationale à but non-lucratif, apolitique, impartiale et empreinte de valeurs humanistes . Il sera donc question, d’une part, de déterminer de quelle manière Greenpeace réussit à imposer de nouvelles normes et à conserver une certaine influence dans le milieu international, mais également des limites de son apport à la protection du bien public mondial qu’est l’environnement.
L’origine
L’organisme est passé maître dans l’art de faire parler de lui. Ayant fait plié à de nombreuses reprises différentes compagnies, Greenpeace, c’est 2,8 millions de donateurs à travers le monde, 10 000 volontaires, 1400 salariés et plus de 150 millions d’euros de budget, fonctionnant uniquement grâce à la générosité de ces mêmes donateurs . À l’origine, l’aventure commence lorsqu’une poignée de déserteurs de la guerre du Vietnam et quelques hippies s’embarquent dans un chalutier dans le but d’empêcher les essais nucléaires dans la région du sud de l’Alaska . Ils n’atteindront pas l’objectif, mais Greenpeace vient de naître, et la protection de l’environnement est la guerre que le groupe veut mener.
Le déclin
En 1991, suite à des actions contre des problématiques plus globales, l’organisation est au sommet de sa popularité, ne comptant pas moins de 5 millions d’adhérents-donateurs . Cette nouvelle popularité poussera Greenpeace à moins miser sur l’activisme, et plus sur le jeu de négociation avec les différentes entreprises. Lors de la démission du tout premier chef, son successeur déclarera : « Nous sommes un groupe de pression politique, pas un groupe de randonneur » . Cette déclaration s’accompagnera de nouvelles prises de position, en particulier contre la guerre du Golfe, et fera disparaître le statut apolitique de l’ONG, en même temps que 800 000 adhérents états-uniens . L’orientation du groupe change donc de cap, et les coups d’éclat ne sont plus que la partie émergée de l’iceberg, un moyen d’attirer les caméras et les donateurs. Toutefois, derrière la scène se trouve un jeu de lobbying qui a valu à l’ONG une reconnaissance du côté des pouvoirs publics. En effet, sa force dans la négociation des politiques environnementales est désormais reconnue. À La Haye, lors de la convention sur la biodiversité, Greenpeace a réussi à faire avancer les choses dans le but de favoriser la préservation des forêts primaires. Mais lors de la déclaration de New York sur les forêts, le 23 septembre 2014, l’ONG s’est abstenu de ratifier le traité, considérant que la date butoir (arrêter la déforestation pour 2030) légitimerait le déboisement . Ainsi, malgré les revers, l’organisme lutte activement, par le biais de négociations, à la protection du bien public mondial.
Les limites
Un bien public possède deux caractéristiques: la non-rivalité et la non-exclusion d’usage. Ainsi, la consommation d’un bien public par un agent économique ne réduit pas les possibilités de consommations d’autres gens . De plus, aucun agent ne peut être exclu des bénéfices ou affecté par un bien public. La tâche de Greenpeace est donc colossale: veiller à la conservation de l’environnement – rappelons qu’il s’agit de l’incarnation de la société civile internationale, et que celle-ci veut influencer les décisions internationales – pour des bénéfices très éloignés dans le but de favoriser les générations futures. La particularité des biens publics, dans ce cas-ci, l’environnement, repose sur le fait que les firmes privées ne peuvent pas en récolter des bénéfices . Il en ressort une résistance de la part des entreprises, particulièrement les lobbys, ayant un poids non négligeable dans la situation. Les multinationales sont donc à la défense de leurs intérêts privés, ne désirant pas sortir perdantes des sommets sur l’environnement, comme c’était le cas à Paris à l’occasion de la COP 21. Celles-ci ne peuvent pas récolter les bénéfices d’un bien public mondial. Pour ces compagnies, l’environnement est un jeu à somme nulle, c’est-à-dire qu’un gain en faveur du bien commun correspond à une perte de leur côté. Greenpeace, à travers son militantisme, vise donc à faire comprendre que l’enjeu de l’environnement n’est pas un jeu à somme nulle, car tous ont avantage à préserver la biodiversité. Toutefois, ces nouvelles normes plus humaines que fait prévaloir Greenpeace sont encore loin de faire l’unanimité, car les mentalités sont encore axées sur un gain immédiat et à tout prix. C’est le cas notamment au Québec, alors que l’une des plus grosses multinationales forestières de la région, Résolu, poursuit actuellement l’ONG en réclamant sept millions de dollars pour diffamation . La protection de l’environnement se heurte donc à la nécessité de croissance économique. À l’heure où 196 pays sont engagés à faire des efforts en ce qui a trait à la réduction des gaz à effet de serre, la question climatique devrait potentiellement modifier le capitalisme en cours, et l’implication d’un organisme comme Greenpeace est primordial pour voguer dans cette direction, et ce malgré la puissance actuelle des multinationales .
Arnaud Boyer et Maël Foucault
Diplômés en sciences humaines du Collège Jean-de-Brébeuf
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