La Fédération de Russie telle qu’on la connait est née d’une implosion. Suite à la chute de l’Union des Républiques Socialiste Soviétiques en 1991, la dissolution de cet État fédéral communiste a donné naissance à plusieurs Républiques indépendantes. La Guerre froide s’étant fini en un échec cuisant pour la Russie, la main de fer de Vladimir Poutine a été vue comme salvatrice lorsqu’elle s’est emparée du gouvernement pour installer un régime plus autoritaire. Après avoir perdu son statut de superpuissance, le pays a connu une remontée progressive vers un statut de grande puissance. L’essor de plusieurs pays en développement et de grandes et moyennes puissances sur la scène internationale pourraient laisser croire à un nouveau partage de puissance qui n’a jamais été vu auparavant. Certains experts tel le spécialiste de sciences politiques Samuel Huntington prévoient même l’ascension de la Fédération de Russie à son ancien statut de dirigeant. Toutefois, il existe trop de failles à la puissance russe pour qu’elle puisse atteindre ce but dans un avenir proche, à commencer par les difficultés de son économie: la situation récente de la Russie après l’annexion de la Crimée témoigne de l’immaturité du pays.
On ne peut parler de la puissance de la Fédération de Russie sans faire un comparatif avec les pays ou les alliances de pays détenant une puissance économique au moment présent. Le comparatif le plus naturel est celui avec les États-Unis, l’unique superpuissance depuis la Guerre Froide. La Russie est loin d’avoir les ressources économiques nécessaires pour être une puissance qui pourrait faire ombrage aux États-Unis, et encore moins se prévaloir de statut de superpuissance. Si l’on compare simplement l’économie des deux États avec quelques chiffres, on peut constater que le PIB per capita et le taux de croissance économique des États-Unis est le double de celui de la Russie. De plus, en 2016, le PIB en dollars US courants de la Russie était d’environ 1 300 milliards de dollars, alors que celui des États-Unis était d’environ 18 600 milliards de dollars. La richesse américaine est donc quatorze fois plus grande que la richesse russe. On ne pourrait donc voir les deux puissances économiques se croiser à court terme à cause d’une part de la crise économique russe et d’autre part du faible taux de croissance économique qui atteint à peine 1%..
L’économie russe a connu une dégringolade de son marché des hydrocarbures en 2014, suite à des restrictions de la part de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP). En 2014, la Russie a envahi le territoire de la Crimée, qui est un territoire autonome relié à l’Ukraine. L’annexion a été commandée par Poutine sous prétexte que le changement de gouvernement ukrainien, plus tôt durant l’année, était dû à un coup d’État. Des cessez-le-feu ont été mis en place par la communauté internationale, mais ils n’ont pas été respectés pas la Russie. De sévères sanctions économiques ont alors été mises en place par l’Europe, le Canada et les États-Unis. La collaboration avec des compagnies russes a été interdite, tout comme les voyages politiques sur le territoire russe. Puisque les pays européens sont les premiers clients des Russes pour la vente d’énergie et de ressources naturelles, le blocus économique a eu les conséquences dévastatrices qu’on lui connait.
Les hydrocarbures constituant 50% des recettes budgétaires de l’État russe et les deux tiers de leurs exportations, peu d’autres secteurs se sont développés au fil du temps. La chute du secteur principal de l’économie russe signifie donc que la récession était inévitable. La chute des prix du baril a donc aussi signifié la chute fatale du rouble, et la surévaluation de la monnaie nationale, affectant tous les domaines d’exportation puisque les produits russes ont été vendus à un prix artificiellement gonflé.
Les États-Unis, quant à eux, ont une économie diversifiée qui n’est pas dépendante d’un seul acteur sur la scène internationale. Dans l’éventualité d’une chute dans un domaine, l’économie au complet n’en pâtirait pas de la même manière que dans le cas russe. Les États-Unis sont également une référence internationale incontournable grâce à l’éventail de leurs champs d’expertise, ainsi que l’importance des investissements dans différents secteurs. Par exemple, la Silicon Valley est le berceau de la technologie occidentale. Ce sont les autres membres de la communauté internationale qui ont besoin de leur aide, et non l’inverse. Il faut d’ailleurs rappeler que Wall Street, à New York, est le plus grand marché boursier au monde. Wall Street démontre premièrement la dominance économique des Américains, et secondairement, la permanence de cette domination.
En conclusion, la crise de la Crimée a prouvé que la Russie est une puissance dépendante. Encore trop faible pour se tenir debout seule, elle a absolument besoin de pays alliés importants. Sans l’appui de l’Europe, de qui elle tente paradoxalement de se dissocier, la Russie ne peut subsister économiquement de façon autonome. Dans d’autres États où l’économie est plus stable et où différents secteurs économiques sont développés, la présence de ressources naturelles est bénéfique. Dans le cas de la Russie, on peut aller jusqu’à affirmer que cette présence est négative. Sa mono-économie est un handicap important à son développement, puisque les investissements sont faits uniquement dans ce secteur, au détriment d’autres sphères d’activité. Le secteur des hydrocarbures sera un jour désuet, et l’économie de la Russie s’effondrera en entier si des réformes économiques ne sont pas mises en place. Enfin, il est possible pour les autres grandes puissances, tels l’Europe et les États-Unis, de manipuler la politique russe grâce à ce talon d’Achille. C’est par cette voie que les Américains, rivaux historiques des Russes, peuvent encore tenir le chat par le collet.
Par Jasmine Razavi
Étudiante en sciences humaines au collège Jean-de-Brébeuf
Bibliographie
BERG, Eugène, Entretien réalisé par Jean-François Daguzan, « Situation et perspectives de l’économie russe », Géoéconomie, vol.1, no. 78, p.77, 2016, consulté en ligne le 8 novembre 2017 sur CAIRN, http://cairn.info
BLUMBERG, Georges, « WALL STREET », dans Encyclopædia Universalis, consulté le 16 novembre 2017, http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/wall-street/
FOUCRIER, Annick ; FOLHEN, Claude; TOINET, Marie-France, « ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE (Le territoire et les hommes) – Histoire », dans Encyclopædia Universalis, consulté le 13 novembre 2017, http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/etats-unis-d-amerique-le-territoire-et-les-hommes-histoire/
GRETH, Karine, «Russie d’Europe », Outre-Terre, vol.1, no. 27, p. 26, 2011, consulté en ligne le 8 novembre 2017 sur CAIRN, https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2011-1-page-25.htm
JEANGÈNE VILMER, Jean-Baptiste, « Crimée: les contradictions du discours russe», Politique étrangère, vol.1, p. 159-171, p.25-28, 2011, consulté en ligne le 8 novembre 2017 sur CAIRN, https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2015-1-p-159.htm
KAISER, Karl ; ROCHEFORT, David, « Les grandes puissances au xxie siècle », Politique étrangère, vol.3, p.619-632, 2007, consulté en ligne le 8 novembre 2017 sur CAIRN, http://www.cairn-int.info/revue-politique-etrangere-2007-3-page-619.htm
MARCHAND, Pascal, Atlas géopolitique de la Russie. Puissance d’hier, puissance de demain ? Paris, France : Éditions Autrement, 2008
NOTLE, Detlef, « How to compare regional powers: analytical concepts and research topics. », Review of International Studies, vol.36, issue 4, p. 881-901, 2010, consulté en ligne le 8 novembre 2017 sur Cambridge University, https://www.cambridge.org/core/journals/review-of-international-studies/article/how-to-compare-regional-powers-analytical-concepts-and-research-topics/C6E0ED7567A80E30144EF4BB62B826B8
OCDE, «Russian Federation», dans OCDE Data, consulté en ligne le 8 novembre 2017, https://data.oecd.org/fr/russie-federation-de.htm
OCDE, «United States», dans OCDE Data, consulté en ligne le 8 novembre 2017, https://data.oecd.org/fr/etats-unis.htm
VERCUEIL, Julien, « L’ économie russe et les sanctions. Une évaluation des conséquences du conflit ukrainien. », dans HAL, éd,. 2014, consulté en ligne le 9 novembre 2017, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01421902/document
1 comment