Partager la publication "Les pays nordiques comme États modèles en aide internationale?"
Les pays nordiques – Finlande, Suède, Norvège et Danemark – sont souvent admirés et louangés pour leurs efforts et leur générosité dans le domaine de l’aide internationale au développement[1].
Non seulement sont-ils parmi les rares pays membres de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE, le « club des pays industrialisés riches ») qui sont parvenus à honorer leur promesse d’octroyer plus de 0,7% de leur revenu national brut (RNB) en aide internationale, ils le font surtout sous forme de dons plutôt que de prêts[2]. De plus, comparativement aux autres membres de l’OCDE, leur aide est réputée comme étant plus centrée sur la réduction de la pauvreté et moins sur leurs intérêts économiques et politiques nationaux[3]. Cela est démontré par le fait qu’ils ont une forte propension à donner aux pays les moins avancés (PMA) présents surtout en Afrique alors que les pays nordiques ont peu d’intérêts commerciaux ou de liens historiques avec ce continent[4].
Cette réputation est-elle encore fondée de nos jours? Pour répondre à cette question l’une des meilleures sources est le Comité sur l’Aide au Développement (CAD) de l’OCDE. En effet : « chaque pays membre du CAD subit tous les quatre ans un minutieux examen par [ses] pairs, dans deux principaux buts: aider le pays à comprendre à quel niveau sa stratégie et sa structure de développement peuvent être améliorées afin d’accroître l’efficacité de ses investissements ; identifier et partager les bonnes pratiques en matière de politiques et stratégies de développement. »[5]
Par contre, il faut savoir lire entre les lignes puisque ces rapports sont rarement dévastateurs à l’égard des États donateurs. Ils se cantonnent le plus souvent à un langage très diplomatique puisque tous ces États sont membres de ce que William Easterly appelle un « cartel de bonnes intentions…[6]»
Dans les plus récents rapports par les pairs sur les donateurs nordiques, la tendance observée semble se confirmer.
Dans le rapport de 2013 sur la Norvège, on constate que ce petit pays donateur, en termes absolus, a un impact et une influence qui vont bien au-delà de ce à quoi l’on pourrait s’attendre. Cela est dû en partie à son leadership dans des domaines critiques et difficiles comme la santé globale, le renforcement de la paix et les changements climatiques. Par ailleurs, on y apprend aussi que toutes (sauf une) les recommandations émises lors de l’exercice d’examen de 2008 ont donné lieu à un suivi sérieux. [7]
L’exercice à propos du Danemark, conduit en 2016, signale une situation similaire à celle de la Norvège. On y apprend notamment que : « Le Danemark veille activement à ce que ses politiques aient un impact positif sur les efforts de développement déployés par les pays en développement, ou ne les entravent pas. En témoigne la première place obtenue par le Danemark dans le classement 2015 de l’indice de l’engagement pour le développement[8].» On cherche en vain des critiques substantielles.
Du côté de la Suède, lors de l’examen de 2013, la situation est aussi très bonne. Par contre, on relève deux faiblesses dans la coopération au développement de la Suède. Primo, l’absence de priorités politiques claires dans l’allocation de l’aide bilatérale, ce qui crée une certaine fragmentation de l’aide. Secundo, une volonté moins affirmée que les autres pays nordiques de tenir compte systématiquement des recommandations émises par les examens par ses pairs du CAD.
Dans le rapport 2017 sur la Finlande, on apprend qu’elle a donné suite à presque toutes les recommandations formulées dans le cadre de l’examen par les pairs de 2012. La Finlande est considérée comme un donateur humanitaire de grande qualité qui n’hésite pas à faire plus que sa juste part en poussant ses partenaires et le système humanitaire à davantage d’efficacité dans ses principaux domaines d’action, tels la prise en compte des personnes handicapées dans ses programmes. En outre, la Finlande fournit un financement humanitaire extrêmement flexible, ce qui lui permet d’adapter ses programmes à l’évolution des contextes et des besoins.
Par contre, le volume du budget de la coopération pour le développement de la Finlande a connu une baisse considérable depuis 2016, tant au niveau global que pour les pays les moins avancés. L’engagement de la Finlande en faveur des principes pour l’efficacité de l’aide semble faiblir.[9]
Un bref aperçu des données sur l’évolution du volume d’aide fourni permet de compléter le portrait.
On constate que dès le début des années 1970, les Scandinaves s’avèrent plus généreux que la moyenne des pays de l’OCDE (en noir), tandis que la Finlande rattrape plus tardivement, et ne s’attarde pas au sommet avec les Scandinaves, les autres pays de l’OCDE pour se stabiliser plus haut que la moyenne, mais sous la barre symbolique du 0.7% du RNB en aide internationale.
Il semble donc qu’en termes de volonté de bien faire, ces pays sont de bons élèves. Dans tous les cas, l’aide des pays nordiques est marquée par un large support public[10]. Plus spécifiquement en Scandinavie (Suède, Norvège, Danemark), le cap du 0.7% du RNB consacré à l’aide fait partie intégrante de l’image publique, voire de l’identité, de ces pays dans le monde.
Cependant, si en termes de qualité d’engagement on ne constate pas de problème, la situation est différente en Finlande où, malgré un fort support public pour l’aide, la sacralité du 0.7% ne fait pas partie des mœurs politiques.[11] D’ailleurs, le budget d’aide au développement de la Finlande, quoique largement supérieur, proportionnellement, aux autres pays de l’OCDE s’est éloigné du 0.7% en 2016. On aurait donc un donateur moins généreux que ses voisins scandinaves, quoique plus généreux que la moyenne de l’OCDE.
Par Jano Bourgeois
Professeur de science politique au Collège Jean-de-Brébeuf
Membres associé au CIRDIS
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Bibliographie
Easterly, William. 2002, « The cartel of good intentions: the problem of bureaucracy in foreign aid. » The Journal of Policy Reform, vol. 5, no 4, p. 223-250.
European Commission, 2017, Special Eurobarometer Report – EU Citizen’s views on development, cooperation and aid, 27 avril 2017 https://ec.europa.eu/europeaid/special-eurobarometer-report-eu-citizens-views-development-cooperation-and-aid_en
Hilde Selbervik et Knut Nygaard, 2006, Nordic Exceptionalism in Development Assistance? Aid Policies and the Major Donors:The Nordic Countries, CMI Report.
OCDE, 2018. « Examens par les pairs des membres du CAD » repéré à https://www.oecd.org/fr/cad/examens-pairs/ (consulté le 22 janvier 2018)
OCDE, 2018. « OCDE Données », https://data.oecd.org/fr/accueil/, (consulté le 22 janvier 2018)
OECD, 2013. Development Co-operation Peer Reviews: Norway 2013, https://www.oecd.org/dac/peer-reviews/Norway_FINAL_2013.pdf
OECD, 2013. Development Co-operation Peer Reviews: Sweden 2013, https://www.oecd.org/dac/peer-reviews/sweden-peer-review-2013.pdf
OECD, 2016. Development Co-operation Peer Reviews: Denmark 2016, http://dx.doi.org/10.1787/9789264259362-en
OECD, 2017. Development Co-operation Peer Reviews: Finland 2017, http://dx.doi.org/10.1787/9789264287235-en
Statistics Norway, 2013. Attitudes towards and knowledge about Norwegian development aid, 2013, https://www.ssb.no/en/offentlig-sektor/statistikker/uhjelphold/hvert-3-aar/2013-11-05#content
Stokke, Olav. 1989, Western Middle Powers and Global Poverty. The Determinants of the Aid Policies of Canada, Denmark, the Netherlands, Norway and Sweden. Uppsala: Scandinavian Institute of African Studies.
Notes
[1] Hilde Selbervik et Knut Nygaard, 2006, Nordic Exceptionalism in Development Assistance? Aid Policies and the Major Donors: The Nordic Countries, CMI Report.
[2] Hilde Selbervik et Knut Nygaard, 2006.
[3] Olav Stokke, 1989, Western Middle Powers and Global Poverty. The Determinants of the Aid Policies of Canada, Denmark, the Netherlands, Norway and Sweden. Uppsala: Scandinavian Institute of African Studies.
[4] Hilde Selbervik et Knut Nygaard, 2006.
[5] OCDE, 2018, « Examens par les pairs des membres du CAD » repéré à https://www.oecd.org/fr/cad/examens-pairs/ (consulté le 22 janvier 2018)
[6] William Easterly, “The cartel of good intentions: the problem of bureaucracy in foreign aid.” The Journal of Policy Reform, 2002, vol. 5, no 4, p. 223-250.
[7] OECD, 2013. Development Co-operation Peer Reviews: Norway 2013, https://www.oecd.org/dac/peer-reviews/Norway_FINAL_2013.pdf
[8] OECD, 2016. Development Co-operation Peer Reviews: Denmark 2016, http://dx.doi.org/10.1787/9789264259362-en
[9] OECD, 2017. Development Co-operation Peer Reviews: Finland 2017, http://dx.doi.org/10.1787/9789264287235-en
[10] Au Danemark, en 2016, 93% de la population juge important d’aider les gens des pays en développement, cette proportion est à 98% en Suède et de 93% en Finlande (Source : European Commission, 2017, Special Eurobarometer Report – EU Citizen’s views on development, cooperation and aid, 27 avril 2017 https://ec.europa.eu/europeaid/special-eurobarometer-report-eu-citizens-views-development-cooperation-and-aid_en ). Hors Europe, en Norvège, la proportion du public en faveur de l’aide internationale était de 82% en 2013 (Source : Statistics Norway, 2013. Attitudes towards and knowledge about Norwegian development aid, 2013, https://www.ssb.no/en/offentlig-sektor/statistikker/uhjelphold/hvert-3-aar/2013-11-05#content )
[11] Hilde Selbervik et Knut Nygaard, 2006.