En rafale

La Serbie, à la recherche de son avenir

La Serbie est souvent considérée comme l’un des enfants rebelles de l’Europe depuis son indépendance formelle. Cette réputation s’est confirmée aux yeux de beaucoup par ses actions et ses implications lors des guerres d’ex-Yougoslavie entre 1991 et 1995, ainsi que lors du soulèvement kosovar en 1998 et 1999. Dans les deux cas, les atrocités commises à l’encontre des populations civiles d’ethnies non serbe ont motivé une intervention militaire de l’OTAN. Avec la chute du président-dictateur Slobodan Milosevic en 2001, la Serbie tente depuis d’améliorer sa réputation internationale et de se moderniser économiquement et politiquement. La solution privilégiée pour y arriver est l’adhésion à l’Union européenne, notamment afin de gagner accès au marché commun. Après tout, ses deux plus gros partenaires économiques, l’Allemagne et l’Italie en sont membres[2].

Elle fut identifiée comme candidat potentiel à l’adhésion de l’UE, avec cinq autres pays balkaniques, lors du sommet du Conseil européen de Thessalonique en 2003, en accord avec la volonté de l’UE d’accroître son nombre de membres au début des années 2000. La Serbie appliqua formellement à un partenariat avec l’UE en 2009 et obtint le statut de pays candidat à l’adhésion[3].Cependant,l’adhésion complète n’est seulement envisagée au plus tôt qu’en 2020[4]. En effet, l’adhésion à l’Union est faite au prix de conditions économiques, diplomatiques et politiques, durement négociées à l’avance et au fur et à mesure. Par exemple, la Serbie s’est notamment vue imposée la condition de réformer son système politique pour le rendre plus démocratique en renforçant la séparation des pouvoirs et des contre-pouvoirs. Elle a également dû prendre des mesures concrètes pour endiguer la corruption endémique du pays. L’objectif de ces conditions est de faire en sorte qu’un État qui aspire à devenir membre soit conforme à la structure économique et politique de l’Union et respecte ses idéaux pour ce qui est des droits de la personne. En bref, on veut éviter que l’arrivée d’un nouveau membre se révèle un handicap pour le reste de l’Union. Bien que la Serbie se soit soumise gracieusement à la majorité des conditions, il en existe une qui fait toujours entrave encore aujourd’hui. En effet, l’Union estime que pour la rejoindre, la Serbie doit d’abord normaliser ses relations avec le Kosovo[5]. Le Kosovo est une ancienne province autonome serbe, mais dont la majorité de la population est constituée d’Albanais musulmans.Il a déclaré son indépendance complète de la Serbie en 2008, bien que cette dernière ne l’ait toujourspas reconnue[6]. La reconnaissance de l’indépendance du Kosovo est d’ailleurs une controverse internationale, car bien que la majorité des pays l’ait acceptée, des pays influents comme la Russie, la Chine et même 5 membres de l’Union (Espagne, Slovaquie, Roumanie, Grèce, Chypre) considèrent qu’il s’agit d’un territoire légitimement serbe[7].

Districts et municipalités serbes, 2008.
En bleu, les régions gérées par la MINUK
Source: Wikimedia Commons

Il existe deux points de tension principaux qui minent encore aujourd’hui les relations serbo-kosovares et rendent difficile le respect de cette dernière condition. La première est que les relations entre la population ethniquement serbe et la population ethniquement albanaise sont acrimonieuses pour des raisons historiques. Albanais et Serbes ne s’aiment pas. Certains Serbes considèrent d’ailleurs que l’indépendance du Kosovo n’est qu’une autre tentative de l’Occident et de l’Albanie de diviser le peuple serbe en soustrayant du contrôle de la Serbie ses membres vivant dans d’autres territoires. Le deuxième point de tension est d’ailleurs lié à cette question, puisque le Kosovo abrite une minorité serbe dans sa région la plus au Nord. La Serbie craint que la majorité albanaise kosovare ne cherche à se venger contre la minorité serbe comme représailles contre les exactions de l’armée serbe en 1998-1999. La reconnaissance de l’indépendance kosovare semble nécessaire à l’adhésion,[8]puisque l’UEsemble envisager le nouvelÉtat comme possible candidat à l’Union.Or seule une nation complètement indépendante peut en devenir membre[9].

Heureusement, on remarque, dans les dernières années, chez les dirigeants serbes un véritable désir d’en finir avec la question du Kosovo. On se veut pragmatique. Bien que reconnaître l’indépendance du Kosovo serait une humiliation de plus pour la Serbie et qu’elle soit jugée inacceptable par de nombreux Serbes, la réalité est que rien ne semble pouvoir indiquer que le Kosovo rentrera au bercail dans un avenir proche. En conséquence, bien que les relations restent tendues, les deux camps travaillent désormais activement à mettre ce problème dans le passé, car cela est conforme à leurs intérêts. Après tout, la Serbie veut intégrer l’Union européenne, alors que le Kosovo veut se faire reconnaître internationalement. Des traités sur le partage d’infrastructures comme les communications, par exemple, ainsi que sur des mesures visant à assurer la protection de la minorité serbe au Kosovo, ont ainsi été signés dans les dernières années, l’UE servant de médiateur[10]. Une fois la question kosovare réglée, il y a peu de raisons de croire que la Serbie ne puisse pas finalement faire une croix sur son passé et être enfin assurée d’un avenir au sein de l’Union européenne.

 

Par Francis Dumortier,
Étudiant en sciences humaines au Collège Jean-de-Brébeuf

 

Bibliographie

 

[1]Bien que l’État serbe soit connu sous plusieurs noms différents depuis le début du millénaire, nommément la République fédérale de Yougoslavie puis, la République de Serbie et Monténégro, avant de devenir l’actuelle République de Serbie, nous utiliserons simplement le nom de « Serbie » afin de faciliter la compréhension

[2] CIA. (2016). The World Factbook ; Europe :: Serbia. Repéré à https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/ri.html

[3]Serbia. (2016). Repéré à https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/countries/detailed-country-information/serbia_en

[4]MacDowall, A. (2012). Hopes and Challenges as Serbia Becomes an EU Candidate. World Politics Review (19446284), 1.

[5] European Commission. (2012). COMMUNICATION FROM THE COMMISSION TO THE EUROPEAN PARLIAMENT AND THE COUNCIL – Enlargement Strategy and Main Challenges 2012-2013. Repéré à https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/sites/near/files/pdf/key_documents/2012/package/strategy_paper_2012_en.pdf

[6]O’Brien, Patrick K. “Kosovo.” Encyclopedia of World History (George Philips), Facts On File, 2000. Modern World History, online.infobase.com/HRC/Search/Details/253172?q=Kosovo.

[7]The Ministry of Foreign Affairs – Republic of Kosovo. (2017). Countries that have recognized the Republic of Kosova. Repéré à http://www.mfa-ks.net/?page=2,33

[8]InSerbia with agencies. (2017). Nikolic : Serbia forced to recognize Kosovo’s independence for EU Membership. Repéré à https://inserbia.info/today/2017/02/nikolic-serbia-forced-to-recognize-kosovos-independence-for-eu-membership/

[9] European Commission. (2012). COMMUNICATION FROM THE COMMISSION TO THE EUROPEAN PARLIAMENT AND THE COUNCIL – on the Feasibility Study for a Stabilisation and Association Agreement between the European Union and Kosovo.Repéré à https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/sites/near/files/pdf/key_documents/2012/package/ks_feasibility_2012_en.pdf

[10] Maurice E. (2015). Kosovo agreement clears Serbia’s EU path. Repéré à https://euobserver.com/enlargement/130008

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