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Guerre en Ukraine : renaissance de l’impérialisme russe et provocations européennes

La Russie a annexé la Crimée en mars 2014, et violé le droit international et son principe d’intégrité territoriale et de souveraineté. L’invasion représente une menace grave pour la stabilité et la sécurité européenne, ainsi que pour le droit et l’ordre international. La crise ukrainienne a causé autour de 6000 morts et a provoqué le déplacement de presque 1 millions de personnes. La communauté internationale s’accorde sur le caractère illicite des actes russes, mais ne cherche pas toujours à comprendre les raisons du comportement adopté par la Russie. Notamment, assistons-nous à une renaissance de l’impérialisme russe ou est-ce que la Russie se sent provoquée par l’influence croissante de l’Europe dans son voisinage commun? Et quelle politique faut-il mener pour mieux servir les intérêts européens?

(c) Peter Schrank for The Economist

L’Union Européenne (UE), les Etats-Unis et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) constituent une partie importante de la communauté internationale occidentale et les valeurs qu’elle projette. Depuis la fin de la guerre froide, l’occident s’est étendu vers l’Europe de l’Est et le voisinage commune entre l’UE et la Russie. En particulier, l’élargissement rapide de l’UE vers l’Europe de l’Est, et l’étude par l’OTAN de l’admission en son sein de l’Ukraine et de la Géorgie en 2008.

La Russie perçoit cette dynamique de rapprochement des anciens pays soviétiques avec les acteurs politiques occidentaux comme une provocation. Aujourd’hui on se trouve dans une sorte de « phase post-guerre froide » ou chacun essaie de tirer la couverture à soi : l’UE essaie de détourner les pays satellites de la Russie et de les attirer vers son axe, tandis que la Russie ne veut absolument pas qu’ils sortent de son giron.

L’élargissement de l’UE

La République Tchèque, la Hongrie et la Pologne sont rentrées dans le club européen en 1999. Quelques années plus tard, en 2004, furent admis dix nouveaux pays, incluant la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. Cet élargissement a redessiné de façon drastique les frontières extérieures de l’Union et la Politique européenne de voisinage (PEV) a été conçue en en vue d’éviter l’émergence de nouvelles lignes de partage en Europe. La PEV vise à nouer de bonnes relations avec les nouveaux Etats voisins de l’UE, notamment concernant des thèmes comme la sécurité et la stabilité économique. La perspective d’adhérer à l’Union n’a pas été promise et n’a pas été l’intention de la Commission non plus.

Dans le cadre de la PEV a été lancé le Partenariat Oriental en 2008, englobant la dimension Europe de l’Est de la politique de voisinage. Ce Partenariat Oriental cherche à assurer la stabilité et la sécurité européenne à travers l’intégration économique d’anciens Etats soviétique comme l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie, et l’Ukraine. Le ministre des affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a alors accusé l’UE de tenter de créer une sphère d’influence dans l’Europe de l’Est.

L’OTAN

Lors du sommet de Bucarest en 2008, l’OTAN a envisagé l’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine, mais, pour ne pas provoquer la Russie, déclare à l’époque que ces deux pays ont vocation à intégrer l’organisation et écarte une admission immédiate. John J. Mearsheimer, professeur à l’Université de Chicago, retranscrit bien la compréhension russe de cet évènement quand il le compare avec un scénario dans lequel la Chine tenterait de créer une alliance militaire incluant le Canada et le Mexique. On imagine la réaction des Etats-Unis…

La Russie se sent menacée par l’UE et l’OTAN, et ce sentiment doit être pris en compte dans les stratégies de pouvoir et d’influence internationales.

Un “paradigme libéral” trompeur

En raison de ses valeurs libérales et démocratiques, l’Europe jouit d’une attractivité et d’une légitimité importante aux yeux de ses pays voisins. Cette attractivité constitue un « soft power », en termes de spécialistes des Relations internationales, contrairement à un pouvoir « hard power », plus traditionnel, qui se limite largement à la puissance militaire. L’UE et les Etats-Unis, en proposant à l’Ukraine d’intégrer des organisations fortement politisées et intégrant une dimension militaire, ont peut-être trop fait pencher la balance du « soft » au « hard power », ce qui a provoqué la réaction russe.

Qui doit réviser sa politique ?

Le 4 mars dernier, la Commission européenne a publié un communiqué de presse intitulé “Vers une nouvelle politique européenne de voisinage: l’UE lance une consultation sur l’avenir de ses relations avec les pays voisins.” L’UE vise à maintenir de bonnes relations avec son voisinage, et il est incertain si les relations avec la Russie vont avoir un impact réel sur sa politique de voisinage. Le Communiqué interroge brièvement “Que pourrait-on améliorer pour assurer une plus grande cohérence entre la PEV et les relations de l’UE avec la Russie…?”, ce qui indique que la Commission est consciente de l’impact que la PEV a sur les relations EU-Russie.

D’ailleurs, il y a déjà eu d’importants efforts de la part de l’UE pour assouplir les sanctions appliquées contre la Russie. Federica Mogherini a été accusée d’avoir adopter un ton trop « conciliant » envers la Russie. Donc, l’UE fait d’importants efforts en la matière. Peut-être serait-il le tour de la Russie d’en faire aussi ? Parce que jusqu’à présent, Kremlin n’a pas bougé d’un pouce…

Le déclin de l’Europe, la Russie ou les deux?

La crise économique de 2008 a affaibli à la fois le pouvoir “soft” et “hard” de l’Europe. Alors que sa renommée dans le monde a reçu un rude coup, la baisse en dépenses de défense des pays européens depuis le début des années 2000 a été renforcée par la crise économique. Notamment, les dépenses médianes en défense des 28 pays membres de l’UE ne sont que de 1.16% du PIB, beaucoup moins que les 2% recommandés par l’OTAN. Par ailleurs, les Etats-Unis s’orientent de plus en plus vers la région Asie-Pacifique, et ont clairement encouragé l’Europe à accroître son rôle de garant de sécurité dans le monde. Néanmoins, les évènements récents en Ukraine ont recentré l’attention de l’OTAN sur l’Europe.

Les jours où la Russie était une superpuissance sont révolus. En effet, l’économie et la démographie continuent à faire baisser son importance sur la scène mondiale, ce qui pourrait bien donner naissance à un problème existentiel pour les leaders politiques russes. Si on tente d’adopter un point de vue « russe », l’annexion de la Crimée l’année dernière peut être considérée comme une action rationnelle d’un point de vue historique, stratégique et politique. Il s’agit juste de se mettre dans la peau de l’autre.

La crise ukrainienne représente une nouvelle ère dans la politique mondiale. Le désordre est revenu sur le continent européen et a creusé un fossé entre l’Europe et la Russie. D’ailleurs, si la Russie demeure isolée et s’éloigne de l’Europe, elle noue une amitié naissante avec la Chine et essaie d’établir de bonnes relations avec l’Inde qui bientôt sera membre de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Au mois de juillet, Monsieur Poutine accueillera le sommet double des BRICS et de l’OCS à Oufa, deux clubs qui ont la capacité de jouir d’un contrepoids politique et financier de plus en plus important face au monde occidental.

Le paysage changeant des relations internationales, associé à l’apparition d’une nouvelle distribution de pouvoir politique, économique et miliaire dans le monde, méritent un examen attentif de la part des responsables politiques à Bruxelles ainsi qu’à Washington. L’UE comme la Russie ont déjà perdu, et continueront à perdre, une certaine importance comme acteurs globaux à d’autres puissances émergentes. Espérons que leur relation tendue trouvera sa fin dans un avenir proche, puisqu’aucun des deux camps ne peut réellement se permettre d’être ennemi avec l’autre.

Katarina Qvale
Membre des Cabris de l’Europe
Article préalablement publié par 27etc dans External relations , le 28/03/2015

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