En rafale

Agressions russes: vers une nouvelle guerre froide ?

Publié le 17/11/2014 sur 27etc, partenaire de Monde68.

The Swedish corvette HMS Visby is seen in the search for suspected "foreign underwater activity" at Mysingen Bay, Stockholm

Récemment, l’ancien dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev a déclaré que le monde était au bord d’une nouvelle guerre froide. Premier ministre du Royaume-Uni, David Cameron, a souligné que les actions de la Russie représentent un danger important pour l’Europe. La relation entre la Russie et l’Occident est peut être en train de se modifier. Cela appelle des réponses politiques appropriées pour dissuader une escalade de la tension.

Le think tank londonien European Leadership Network vient de publier un bulletin politique intitulé Dangerous Brinkmanship: Close Military Encounters Between Russia and the West in 2014 synthétisant l’escalade récente des agressions commises par la Russie. L’intensification des incidents a eu lieu dans le sillage de l’annexion russe de la Crimée au mois de mars 2014, une péninsule reconnue internationalement comme appartenant à l’Ukraine. Presque 40 incidents se sont produits au cours des huit derniers mois (voir carte interactive) entre la Russie et les pays membres de l’OTAN, notamment la Suède et la Finlande. Ces évènements sont réguliers et couvrent une grande zone géographique.

 

Le bulletin identifie notamment 3 incidents à haut risque et 11 incidents graves. Parmi les incidents les plus troublants :

  • Le 3 mars 2014: une rencontre rapprochée entre un avion SAS avec un avion russe qui n’avait pas transmis sa position. L’avion SAS de route entre le Copenhague et Rome transportait 132 passagers. Une tragédie telle que celle du vol MH17 de la Malaysia Airlines aurait certainement aggravé les sanctions vers la Russie et la perception sur la menace russe pour la sécurité européenne.
  • Le 5 septembre 2014: un agent du service de sécurité estonienne, Eston Kohver, a été enlevé par des agents russes d’un poste sur la frontière estonienne (territoire de l’OTAN) et accusé d’espionnage. L’incident a eu lieu immédiatement après que le Président Obama a réaffirmé l’assurance de la sécurité aux pays baltes.
  • Entre le 17 et 27 octobre 2014: les autorités suédoises lancent une opération majeure dans les eaux près de Stockholm pour trouver l’origine d’une activité sous-marine suspecte. L’état major suédois a souligné qu’il était prêt à utiliser “la force armée” si nécessaire. L’incident représente la plus importante opération anti-sous-marine suédoise depuis la Guerre Froide.

L’agression russe semble être une politique délibérée à plusieurs objectifs : observer le modèle de réponse et l’état de préparation de l’OTAN, tester le personnel russe dans l’action, et en même temps atteindre des objectifs politiques à travers de la propagande. Par ailleurs, la Russie souhaite miner la confiance dans le soutien apporté par l’OTAN dans le cas d’une crise, et dissuader l’adhésion aux organisations occidentales de l’OTAN et de l’UE.

Les recommandations politiques

Les tensions croissantes et la militarisation de la frontière OTAN-Russie représentent un scenario indésirable qui rappelle la guerre froide. Le bulletin de European Leadership Network affirme que même si une confrontation militaire directe n’est pas survenue, il existe un risque d’escalade inattendue et de perte de contrôle de la situation. Le bulletin souligne que le danger vient des deux côtés, et pourrait entrainer des conséquences catastrophiques. Trois recommandations politiques se dessinent:

Premièrement, les dirigeants russes devraient de toute urgence réévaluer les coûts et les risques de la poursuite d’une posture militaire plus affirmée, et la diplomatie occidentale devrait œuvrer pour convaincre la Russie de revoir ses positions. Actuellement, les actions russes ont causées une mobilisation de l’OTAN sans précédent, et tant la Suède que la Finlande ont modifié leur politique de défense.

Dans un deuxième temps, toutes les parties devraient faire preuve de modération militaire et politique. Notamment, l’Ukraine n’est pas le seul conflit potentiel dans la région (il y a aussi Moldavie / Transnistrie; Géorgie / Ossétie du Sud / Abkhazie; et l’Arménie / l’Azerbaïdjan au sujet du Haut-Karabakh). Il est primordial d’éviter une nouvelle vague d’escalade.

Troisièmement, toutes les parties doivent améliorer la communication et la transparence de leurs mouvements militaires. Les activités des forces armées dans les zones frontalières devraient être prévisibles, dans l’objectif de réduire les tensions actuelles et instaurer la confidence.

Quant à la politique de défense européenne, incarnée par la Politique étrangère et de sécurité commune, elle exige l’unanimité des 28 Etats membres pour adopter une mesure. Cette unanimité pourrait représenter un obstacle dans une situation de crise nécessitant des réponses rapides. Cependant, elle peut se reposer sur l’OTAN, responsable de la défense de l’Europe puisque l’UE ne possède que des capacités militaires limitées. D’ailleurs, la plupart des pays européens sont membres des deux entités.

Un voisinage commun entre l’UE et la Russie: une cause sous-jacente ?

La Politique européenne de voisinage (PEV), lancée avant l’élargissement en 2004, vise à améliorer les relations entre l’UE avec ses pays voisins. Dans cette optique, le Partenariat Oriental inauguré en 2009, associe l’UE à des anciens États soviétiques (l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine). L’objectif du partenariat est de rapprocher ces pays à l’UE à travers le renforcement des relations politiques, économiques et culturelles. Le plate-forme pour la période 2014-2017 comprend: 1) La démocratie, la bonne gouvernance et la stabilité 2) L’intégration économique et la convergence avec les politiques européennes 3) La sécurité énergétique 4) Les contacts entre les peuples.

Le modèle européen de développement est attractif aux yeux des anciens États soviétiques qui se caractérisent par l’arriération. Or, la Russie considère le Partenariat Oriental comme une occidentalisation non souhaitable qui menace son influence dans ces pays. En outre, l’Union douanière Eurasienne instaurée le 1 janvier 2010, permet le libre exchange entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan. C’est un premier pas vers une alliance économique, similaire à celle de l’UE, et représente un tournant majeur dans l’approche politique russe vers ses voisins.

Par ailleurs, le Partenariat Oriental et l’Union douanière Eurasienne sont deux projets d’intégration mutuellement exclusifs, mettant en évidence la compétition entre Bruxelles et le Moscou. La crise ukrainienne montre que la région peut rapidement se transformer en un voisinage fragmenté et instable (Delcour & Kostanyan 2014). L’intensification des incidents militaire entre la Russie et l’Occident peut être une quête d’influence et de réaffirmation de la puissance russe. Cette dernière vise à déstabiliser les pays qui cherchent à se rapprocher de l’UE et de l’OTAN, et a démontré qu’elle n’hésite pas à ressortir à la coercition pour assurer son influence.

Toutefois, le danger réel de la situation est peut-être le risque d’erreurs de calcul ou de véritables erreurs qui peuvent être mal interprétées et déclencher une escalade d’agressions.

Katharina Qvale

 

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