Cet article se base sur une note de recherche intitulée: Les pays baltes risquent-ils l’annexion par la Russie?
L’URSS rivalisait autrefois avec les États-Unis pour le titre de première puissance mondiale. Aujourd’hui, la Russie demeure puissante sur la scène internationale, mais elle a perdu beaucoup en ce qui a trait à sa zone d’influence. Après le conflit en Ukraine en 2014, on peut s’interroger sur un possible danger d’annexion des pays limitrophes à la Russie, particulièrement des pays baltes. Ces trois pays, en bordure de la mer Baltique, sont la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie. Ils sont d’anciens membres de l’Union soviétique et comptent dans leur population une importante minorité russe. Il n’est donc pas illogique de penser que les pays baltes pourraient faire partie des ambitions expansionnistes de Vladimir Poutine.
Depuis l’implosion de l’Union soviétique, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie se sont faits de nouveaux alliés lesquels sont capables de les protéger de l’ours russe : l’OTAN et l’Union européenne. Avec les États-Unis, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni garantissant leur indépendance en vertu du traité de l’OTAN, toute intervention militaire conventionnelle de la Russie, telle une invasion, est pratiquement impensable. De plus, depuis cette année, chaque pays balte a accueilli sur son territoire un bataillon (1000 soldats) de forces internationales de l’OTAN[1]. À cet effet, une intervention militaire similaire à ce qui est arrivé en Ukraine semble impossible puisque le risque d’escalade est trop élevé. Par exemple, si un soldat russe, durant une opération militaire en Estonie, tue un soldat de l’OTAN au lieu d’un soldat estonien, les représailles sont presque garanties. Les risques étant trop élevés, il serait fort malhabile pour l’administration Poutine d’utiliser cette méthode pour remettre la main sur ses anciennes possessions.À part une agression, quelles sont les méthodes que la Russie peut employer pour arriver à ses fins? Pour répondre à cette question il faut retourner en 2014 en Ukraine où la Russie afin d’accomplir ses objectifs expansionnistes a utilisé des techniques de guerre hybrides. Celle-ci s’organise en trois étapes, la première étant la mise en place d’un «chaos contrôlé» dans le pays visé en créant et en alimentant des conflits internes. Ceci peut être réalisé notamment en envoyant des armes et de l’argent à des groupes rebelles ou en employant les services de mercenaires. La seconde étape est la destruction d’infrastructures clés afin d’entraîner une crise économique. Ceci vise évidemment les infrastructures traditionnelles, comme les voies ferrées, le système routier et les oléoducs, mais vise aussi les plateformes gouvernementales sur Internet aux moyens de la cyberguerre. La dernière étape correspond au remplacement des autorités locales affaiblies par l’envahisseur, lequel s’impose du même coup en tant que «sauveur de l’ordre public»[2]. L’OTAN et l’U.E. prennent très au sérieux cette nouvelle façon de faire la guerre et investissent des sommes importantes afin d’améliorer la résilience de leurs pays membres[3]. La résilience est la capacité du gouvernement de continuer à exercer ses fonctions dans le cas d’une attaque hybride. Il s’agit donc de continuer à procurer de l’énergie, de la nourriture, de l’eau, de l’information fiable et des systèmes de communication et de transports à leurs citoyens.
Enfin, il existe également des moyens plus subtils pour ramener les pays baltes sous la sphère d’influence russe. L’un d’eux est l’ingérence dans la politique interne des pays baltes. En effet, la Russie, dans le cadre d’un retour à une politique de panslavisme, c’est-à-dire une vision du monde où toutes les populations russes ou d’origines slaves sont regroupées sous un même toit, que ce soit par des moyens culturels ou par la force, tente d’influencer la minorité russophone de la Lettonie (25.4% de la population) et de l’Estonie (24% de la population)[4]. Comme influencer directement la politique d’autres nations est une violation majeure du droit international, la Fédération russe utilise des organisations non-gouvernementales (ONG) pour arriver à ses fins[5]. Par exemple en 2012, la Russie a tenté de rajouter le russe comme langue officielle de la Lettonie durant un référendum à cet effet en finançant des ONG comme “Mother Tongue”. Le référendum a échoué, même s’il a réussi à mobiliser une portion de la population faisant partie de la minorité russe. Un autre aspect alarmant de l’ingérence russe dans l’espace public est sa production médiatique. Les stations de télévision russes ne proposent pas des faits, mais plutôt des histoires objectivement fausses ou déformées qui tentent d’insuffler, chez les minorités russes, de l’antipathie envers la majorité lettonne ou estonienne en utilisant une vision “eux contre nous”. De plus, certains des médias prorusses dans ces deux pays ne déclarent pas leurs finances de façon transparente ce qui indique que ces médias ne respectent pas le code journalistique et qu’ils sont bien là pour faire de la propagande prorusse[6]. Bref, l’ingérence russe dans la politique des pays baltes est difficile à contrer par des moyens conventionnels comme le déploiement de soldats.
Pour conclure, une annexion directe des pays baltes est très peu probable, et ce, malgré les risques posés par les stratégies militaires hybrides de la Russie, puisque leur indépendance est garantie par l’OTAN et l’UE. Il demeure que l’ingérence russe dans la politique balte constitue un facteur de risque pour l’autonomie de ces nations. Ce danger est bien compris par les gouvernements baltes, mais la manière de traiter le problème doit être très délicate. La lutte contre la propagande russe ne doit pas devenir une source d’aliénation et un facteur d’exclusion des minorités russes, lesquelles pourraient se rapprocher dangereusement de Moscou.
Par Augustin Décarie et Victor Fahey
Étudiants en sciences humaines – profil études internationales, Collège Jean-de-Brébeuf
Pour approfondir votre compréhension, vous êtes invités à aller lire:
Note de recherche étudiante, numéro 7, mars 2018
LES PAYS BALTES RISQUENT-ILS L’ANNEXION PAR LA RUSSIE?,
Victor Fahey & Augustin Décarie, Étudiants en études internationales au Collège Jean-de-Brébeuf
Références
[1] David Takacs. « Ukraine‘s deterrence failure: Lessons for the Baltic States », Journal on Baltic Security. Vol.3. (Juin 2017), p.5, dans EBSCO (Page consultée le 14 novembre)
[2] Takacs, p.5
[3] European Council. «EU cooperation on security and defence», 2017, http://www.consilium.europa.eu/en/policies/defence-security/# (page consultée le 16 novembre 2017)
[4] Stratfor, « Ethnic Russians in the Baltics», https://worldview.stratfor.com/article/ethnic-russians-baltics (page consultée le 15 novembre 2017)
[5] PARK, I.. Russian Soft Power in the Baltics: In the Framework of Neoliberalism. Pursuit: The Journal Of Undergraduate Research At The University Of Tennessee, 7(1), 2016, p. 160.
[6] Park, p.160