Partager la publication "Gertrude Bell (1868-1926). Une « Lady » aventurière aux origines de l’Irak."
Par : Philippe BÉDARD-GAGNON, Sophie-Catherine DICK, Émilie LESAGE, Élisabeth MASSICOTTE et Anaïs PRONOVOST-MORGAN.
Étudiantes et étudiant au programme Sciences Lettres et Arts du Collège Jean-de-Brébeuf.
Issue d’une famille aristocratique de l’ère victorienne, Gertrude conservera les traits comportementaux de son milieu d’origine, tout en brisant paradoxalement les conventions sociales britanniques de l’époque. Elle fut tout à la fois, intellectuelle (grâce à de solides études au Queen’s College et à Oxford), auteure, archéologue, photographe, diplomate, espionne et alpiniste!
Celle que les peuples des déserts arabiques surnommaient « la Khatun » (noble dame) ne fut rien de moins que « l’architecte du nouvel État irakien libéré de l’emprise ottomane » et créé par les Britanniques, en 1920. L’histoire n’a essentiellement (dans un milieu masculin) retenu que le rôle de Thomas Edward Lawrence, plus connu sous le nom de Lawrence d’Arabie. Pourtant, Gertrude fit tout autant que cet officier de l’armée. Voyons maintenant les grands moments de l’action de Gertrude Bell en Mésopotamie.
Dès 1892, on la retrouve au Moyen-Orient. Elle traversera plusieurs fois la Perse, la « Syrie », la « Palestine », la Péninsule arabe et ses voyages seront l’objet de ses premiers écrits. En 1907, elle suit un chantier archéologique le long de l’Euphrate. Gertrude Bell a fait de bonnes études en histoire et en anthropologie tout en apprenant les langues régionales, le persan, le turc et l’arabe et cela fit d’elle une spécialiste incontournable de la région. Bell apprit aussi à connaître le « terrain » et à le cartographier précisément, tout en prenant contact avec les différentes populations locales dont elle connaissait bien les coutumes et les structures sociales. Plus important, elle construisit un réseau de contacts au sein des élites et des autorités « autochtones » régionales, et ce malgré la présence ottomane. Tout cela rendit Gertrude intéressante et indispensable aux autorités britanniques qui, pour préserver leur empire, souhaitaient contrôler cette région ; sa proximité avec le canal de Suez la rend importante afin de sécuriser le trajet vers les Indes britanniques. Le goût de l’aventure chez Gertrude et les intérêts britanniques s’épousèrent, en quelque sorte, grâce au déclenchement de la Première Guerre mondiale où les Ottomans, maîtres de la région, s’allièrent aux Empires centraux, ennemis de la Grande-Bretagne. C’est à ce moment, que Gertrude Bell devint agente de liaison, voir espionne, et prépara le terrain à la prise de Bagdad par les Britanniques.
Bell fut choisie pour occuper ce poste, car elle connaissait le désert, incluant les points d’eau et les oasis, mieux que n’importe quel Européen. Ces connaissances du territoire et la cartographie précise de Gertrude furent utiles à l’Angleterre pour amener ses troupes armées efficacement et sécuritairement jusqu’à Bagdad. En connaissant les chefs des tribus du territoire, elle put découvrir l’étendue de l’influence allemande et turque sur le territoire, ce qui aida les Britanniques à mieux formuler leur stratégie. Usant de tous ses talents et contacts, elle convainquit plusieurs cheiks, les chefs des tribus, d’entrer en rébellion contre l’Empire ottoman, ce qui, ultimement, le mena à la chute. Elle était si respectée qu’il est arrivé qu’un cheik très important soit venu la prévenir que des Allemands et des Turcs avaient tenté de le soudoyer; elle lui demanda alors de convaincre d’autres cheiks de ne pas écouter les demandes allemandes, ce qu’il fit. Outre la proximité du Canal de Suez, les Britanniques, apprenant la présence de pétrole dans la région, se découvrirent le souhait d’exploiter tranquillement et exclusivement ce dernier. Pour ce faire, il fallait vaincre l’ennemi turc et pour y arriver, Londres avait besoin d’alliés dans la région. Aussi, ils firent des promesses aux Arabes, aux Juifs (Déclaration Balfour) sans les tenir, car dans le secret, les alliés franco-britanniques s’entendirent pour démanteler l’Empire ottoman et se partager la région. C’est à ce moment que Bell obtint le titre de « Secrétaire orientale » (1917), soit lors de la prise de Bagdad par les troupes britanniques.
Première femme officière dans l’histoire des renseignements britanniques, Bell défia ainsi plusieurs normes sociales de l’époque concernant son genre. Elle a su se faire respecter dans un milieu d’hommes, car elle était très cultivée et présageait ce qui allait devenir l’Irak.
La nation d’Irak
En 1917, la Mésopotamie (l’Irak moderne) était en ruines. Les autorités turques taxaient la population, mais rien n’était réinvesti dans les infrastructures, et la guerre avait détruit ce qui tenait encore debout. Le système judiciaire était pitoyable: aucun juge n’était formé, et les procès se gagnaient grâce à des pots-de-vin. La population majoritaire avait vu sa langue, l’arabe, disparaître au profit du turc dans les institutions publiques, dont le système d’éducation, lui aussi réduit au strict minimum. La révolte grondait, ce qui mettait en péril le front mésopotamien de la guerre.
Pendant la guerre, sous le contrôle britannique, toutes les taxes collectées furent utilisées pour le bien de la population. Londres devait aussi dépenser d’immenses sommes d’argent afin de maintenir la paix et prévenir la famine sur le territoire. Bell souhaitait ardemment que Londres accorde leur indépendance aux Arabes or, dès la fin de la guerre, en 1918, A.T. Wilson, alors Commissaire Civil par intérim de la Mésopotamie, affichait publiquement son mépris envers l’idée de l’autodétermination des peuples arabes. Ses visées impérialistes faisaient de lui l’adversaire principal de Bell, dont il était le supérieur. Wilson envoya cette dernière à Paris, où la conférence de paix (1919) avait lieu. Elle eut un allié en Woodrow Wilson, le Président des États-Unis déclarant que les empires coloniaux devaient garantir le droit à l’autodétermination aux peuples qu’ils gouvernaient tant que cela ne conduirait pas la région dans le chaos.
Malheureusement, Bell était pratiquement seule à Paris, avec A.T. Wilson, à véritablement connaître les enjeux de la région. On ignorait, à Paris, l’existence d’une majorité chiite en Mésopotamie, alors que c’était l’un des traits les plus importants de cette société. Bell tenta de convaincre les chefs d’État de l’importance de l’indépendance des Kurdes, mais personne ne l’écouta. Personne n’écouta non plus le petit groupe de Kurdes venus pour se faire entendre.
En 1920, Gertrude Bell a écrit le Review of the Civil Administration of Mesopotamia, soit un rapport exhaustif, portant des recommandations sur la future gouvernance de Bagdad. Le gouvernement britannique s’en inspirera en suivant plusieurs de ses recommandations, notamment son conseil pour le choix du nouveau roi d’Irak, Fayçal 1er, qui était pourtant sunnite.
Pendant la Conférence du Caire, en mars 1921, Gertrude Bell fut grandement sollicitée par Winston Churchill, entre autres, pour son expertise dans la région. Ses recommandations sur les limites du territoire d’Irak furent écoutées. Cette compétence en cartographie et en géographie était établie et incontestable depuis qu’elle avait reçu la médaille de la Royal Geographic Society en 1918 « pour ses explorations importantes et voyages en Asie Mineure, en Syrie, en Arabie et autour de l’Euphrate. » Cependant, elle tenta encore de régler la question frontalière entre le nouvel Irak et la nouvelle Turquie, jusqu’en 1925. Elle fit une levée de fonds pour l’hôpital des femmes en Irak et légua en héritage 6000£ au British Museum pour la création de l’École Britannique Archéologique de l’Irak. Elle a même contribué à la création du drapeau irakien. Lorsque le roi d’Irak fut couronné, après un plébiscite, elle supervisa les nominations aux postes gouvernementaux et conseilla le roi sur plusieurs plans. Son influence sur ce dernier lui amena le titre de « reine sans couronne d’Irak ».
Son œuvre s’arrêta brusquement le 12 juillet 1926, après que Gertrude eut ingéré une dose fatale de somnifères. Bell décèdera à Bagdad et sa mort fut considérée comme un suicide, lié de ses problèmes de santé persistants et à la mort récente de son frère. Elle est enterrée au cimetière anglais de Bagdad.
Bibliographie
(1) American Journal of Archeology. (2010) Learning from the Iraq Museum. Repéré à https://www.ajaonline.org/online-review-museum/364
(2) Beauchamp, J. (6 avril 2017). Gertrude Bell, le destin exceptionnel d’une archéologue en Irak. [Audio fil] Radio-Canada: Aujourd’hui l’histoire. Repéré à https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/20092/gertrude-bell-archeologue-espionne-irak
(3) Bell, G. (1940). The Arab War. (p.22). Repéré à https://issuu.com/selwa/docs/bell/22
(4) Bell, Gertrude. (2014). The Letters of Gertrude Bell. Estar books.
(5) Éditeurs de Biography.com. (13 juillet 2016). Gertrude Bell Biography. Dans The Biography. Repéré à https://www.biography.com/people/gertrude-bell-21149695
(6) Éditeurs de l’Encyclopaedia Britannica. (29 janvier 1999). Gertrude Bell. Dans Encyclopaedia Britannica. Repéré à https://www.britannica.com/biography/Gertrude-Bell
(7) Éditeurs du TheFamousPeople.com. (13 juillet 2018). Gertrude Bell. Dans The Famous People. Repéré à https://www.thefamouspeople.com/profiles/gertrude-bell-30341.php
(8) Howell, G. (2015). Gertrude Bell: A Woman in Arabia. New York, États-Unis : Penguin Books.
(9) Howell, G. (2006). Gertrude Bell: Queen of the Desert, Shaper of Nations. New-York, États-Unis: Farrar, Strauss and Giroux.
(10) The Royal Photographic Society (2019) About. Repéré à http://rps.org/about
(11) UNESCO. (2015) Réouverture du Musée National de Bagdad. Repéré à https://fr.unesco.org/news/reouverture-du-musee-national-bagdad
(12) Newcastle University. (2016). The extraordinary Gertrude Bell. Repéré à https://research.ncl.ac.uk/gertrudebell/anextraordinarywoman/archaeologist/
(13) Townshend, Charles (2011). Desert hell the British invasion of Mesopotamia. Cambridge, Mass.: Belknap Press of Harvard University Press. (p. 494). ISBN 0674061349.
(14) Wallach, J. (2005). Desert Queen. New York, États-Unis : Anchor books.
Par : Philippe BÉDARD-GAGNON, Sophie-Catherine DICK, Émilie LESAGE, Élisabeth MASSICOTTE et Anaïs PRONOVOST-MORGAN.
Étudiantes et étudiant au programme Sciences Lettres et Arts du Collège Jean-de-Brébeuf.