Après le Brexit, le Breturn ?
Au lendemain du vote pour le Brexit, le Royaume-Uni sort de ce scrutin plus divisé que jamais, et ce, à tous les niveaux. Sociodémographiquement, le référendum a acté la fracture entre d’un côté les plus riches et les jeunes (pro-UE) et de l’autre les plus pauvres ou les plus âgés (pro-Brexit). Le 23 juin aura aussi fortement fragmenté les deux partis traditionnels (le Labour et les Tories) dont la majorité des députés demeurent favorables à l’Union. À l’échelle territoriale, on observe également un clivage marqué entre Londres et le reste de l’Angleterre d’une part, puis entre l’Angleterre et les autres nations constitutives du Royaume, notamment l’Écosse et l’Irlande du Nord d’autre part.
Ces divisions, loin de simplifier un retrait rapide du Royaume-Uni de l’UE sont renforcées par 1) l’inexistence d’une plateforme claire entre les partisans du Brexit, 2) d’obscurs enjeux constitutionnels alors que les parlements écossais et nord-irlandais posséderaient un droit de veto de facto octroyé par Londres lors de la signature des traités de dévolutions des pouvoirs, 3) la nécessité de recourir officiellement à l’Art. 50 du Traité de Lisbonne qui requiert préalablement l’adoption d’une stratégie nationale de négociation, 4) le fait que le divorce pourrait prendre plus de deux ans à être monnayé et 5) la position ferme des Européens qui souhaitent une négociation rapide et une sortie ordonnée, l’UE ayant déjà nommé un négociateur.
Tout prolongement de cette incertitude, jamais vue en Europe depuis la fin de la période coloniale, pourrait provoquer un atterrissage brutal de l’économie britannique, la dépréciation supplémentaire de la livre sterling, déjà au plus bas depuis plus de 30 ans, la montée de l’inflation et le début de la migration des banques de la City vers le continent européen.
Tout cela contribuera nécessairement au renforcement de l’instabilité politique et de l’incertitude économique et alimentera la frustration sociale jusqu’à bientôt entendre scander: « nous n’avons pas voté pour ça ».
Brexit ou Breturn ?
À partir de ce contexte observable, et comme il revient au Parlement d’acter le choix des urnes du 23 juin pour engager officiellement la discussion avec Bruxelles, deux grandes trajectoires sont envisageables pour le Royaume-Uni.
La première est la suite logique du vote pro-Brexit. Un nouveau Premier ministre est nommé en septembre ou octobre et il engage les procédures de retrait en vertu de l’article 50 du Traité de Lisbonne avec les 27 autres membres de l’Union européenne. Pour cela, il tentera de régler préalablement les enjeux domestiques pour négocier un consensus national avec l’Écosse et l’Irlande du Nord (pro-UE). Il est ainsi difficile d’imaginer le lancement des négociations avant janvier 2017, voire janvier 2018.
À partir du moment où Londres appuiera sur l’article 50, un délai de deux ans (renouvelable à l’unanimité des 27 membres) est accordé pour négocier un nouveau partenariat visant à encadrer les futures relations du Royaume avec l’Union. Un accord de libre-échange à la norvégienne, sans répondre aux exigences des Brexiteurs, aura l’avantage de rassurer les marchés, les jeunes, l’Écosse et l’Irlande du Nord. Londres sera alors essentiellement sanctionnée par le rapatriement d’une partie de la finance vers les places boursières de Paris et Francfort, par l’obligation d’assurer la libre circulation des citoyens européens et la perte d’influence de Londres sur les directives adoptées à Bruxelles. En effet, en quittant l’UE, mais en souhaitant conserver un accès privilégié au marché commun, le Royaume-Uni devra continuer de respecter la réglementation européenne, de débourser un droit d’accès (participation au budget européen) tout en étant privé de ses pouvoirs de représentations et de blocage qu’il possède en tant que membre de l’Union.
Mais il existe un deuxième scénario, celui du Breturn – contraction de British et Return – plus optimiste, qui mérite d’être mentionné. Et si le Brexit n’était jamais acté ? Imaginons un moment que le chaos politique, créé par une succession désordonnée chez les Tories – récemment confirmée par le refus de Boris Johnson, leader du Brexit, de se présenter à la chefferie, – par la polarisation du Labour, la double menace écossaise (blocage constitutionnel et la tenue éventuelle d’un nouveau référendum d’indépendance), la remise en cause du processus de paix en Irlande du Nord (les comtés catholiques ayant voté majoritairement pro-UE, et les comtés protestants pro-Brexit), et les pressions européennes, entraîne des élections anticipées à l’automne 2016 ou à l’hiver 2017. Dans ce cas, il fait peu de doutes que le sujet central de l’élection sera l’UE et que le scrutin prendra de facto toutes les allures d’une élection référendaire. On peut alors raisonnablement penser que les électeurs sanctionneront le vote du 23 juin après avoir été refroidis par l’aggravation du climat économique largement dû au chaos politique et à l’incertitude entourant la définition des futures relations UE-RU.
Dans cette raisonnable éventualité, David Cameron lui-même précisait devant les députés lundi 27 juin que le climat d’incertitude actuel se prêtait bien à des élections anticipées, un nouveau scrutin pourrait tout simplement faire oublier le vote du 23 juin tout en mettant fin à une longue période de volatilité des marchés et d’instabilité de l’UE.
Le simple fait d’affirmer qu’il est aujourd’hui tout simplement impossible de dire lequel des scénarios du Brexit ou du Breturn se réalisera confirme l’idée selon laquelle le parlement britannique ne souhaite pas réellement entériner le choix du peuple. « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ».