À la fin des années 90, la société russe est épuisée de la « thérapie de choc » économique imposée par Gorbatchev puis par Eltsine pour convertir l’économie soviétique vers le capitalisme. En l’espace de 10 ans (1989 à 1999), le PIB a perdu 80% de sa valeur,
le chômage a augmenté de 2800%, le revenu par habitant a reculé de 60% et l’espérance de vie à la naissance de 5 années; pendant que l’inflation augmentait de 800% en 1993 (300% en 1994 et autour de 100% en 1995), que les menaces sécessionnistes et autonomistes se multipliaient et que le corruption gangrénait tout le système politique, social et économique du pays.
C’est dans une Russie au bord de l’implosion territoriale et économique, dix ans seulement après la chute de l’Union soviétique, que Poutine se présente à l’élection présidentielle de 2000. Certains l’accusent alors de ne pas avoir de programme politique comme les autres partis. Pourtant, son programme est clair : c’est le contrat social de Hobbes. Poutine est porté dans cette campagne pour mettre un terme aux conséquences désastreuses de la thérapie de choc qui menacent la sécurité, autant économique que physique de la Russie et de ses citoyens. Il propose ainsi au peuple de passer un « pacte ». Dans le cadre de cette entente, la démocratisation, associée aux échecs de la Perestroïka et de la thérapie de choc, doit être stoppée. En échange, Poutine s’engage à rétablir l’ordre et la sécurité dans cette société menacée et anarchique.
Lorsque Thomas Hobbes écrit le Léviathan en 1651, l’Angleterre sort d’une décennie révolutionnaire qui aura mené en 1649 à la décapitation du Roi Charles 1er. Proche de la monarchie, Hobbes s’oppose à la Révolution et à ses bouleversements imprévisibles qui placent le pays en état de guerre perpétuelle, opposant farouchement catholiques et protestants, exterminant les révoltes irlandaises, déclarant la guerre à ses voisins et ordonnant des meurtres de masses. Hobbes décide alors de poser les jalons de la réconciliation et de la concorde nationale dans son œuvre magistrale; Le Léviathan.
Pour lui, sans autorité souveraine toute puissante, l’homme est une menace constante à ses semblables. Chacun dans la pratique de sa liberté totale voudra dominer les autres pour assurer sa survie. Les plus forts soumettront les plus faibles. Et lorsque les premiers seront renversés ou tués, d’autres émergeront pour dominer les derniers à nouveau. C’est l’homme à l’état de nature… en guerre perpétuelle pour sa propre survie. Les événements de la Première révolution anglaise, qu’il qualifie d’anarchiques, semble lui donner raison; tout comme les désastres des années 90 en Russie pouvaient justifier les constats de Vladimir Poutine.
«Au final, dans les années 90, sous le drapeau de l’avènement de la démocratie nous avons obtenu non un État contemporain, mais une lutte souterraine de clans et une débauche de nourritures semi-féodales. Non une nouvelle qualité de vie, mais d’énormes pertes sociales…» Dans cet extrait d’un discours de Vladimir Poutine publié le 6 février 2012 dans le quotidien russe Kommersant, le rapport avec Hobbes est flagrant. L’insécurité est totale et c’est la faute à la liberté et la démocratie.
Donnez-moi vos libertés et j’assurerai votre sécurité
Pour sortir de cet état de nature, les hommes doivent, selon Hobbes, passer un pacte entre eux qui consiste à abandonner tous leurs droits et toute leur liberté à un souverain absolu qui assurera leur sécurité et mettra un terme à l’état de guerre perpétuelle.
Poutine voit la Russie sombrer dans le désordre, la corruption, la pauvreté et l’insécurité. Ses mots d’ordre, toujours valables aujourd’hui, sont la sécurité et la reconstruction. Pour cela, les réformes démocratiques doivent cesser, car à mesure que la « liberté » s’est répandue dans la société russe, celle-ci s’est détériorée tout aussi vite.
Dans le cadre d’une entrevue à une chaîne d’information française France 2 le 7 juin 2010 (voir à 2’40), Poutine répond, à une question posée sur les problèmes de respect des droits et libertés en Russie, en disant « que dans le système politique russe, il y a beaucoup de choses à améliorer, mais que c’est le processus naturel d’une société qui devient adulte » et rajoute « nous avons eu le tsarisme, le communisme, le stalinisme et depuis les années 90, nous avons construit une autre société, une société sur d’autres principes, cela prendra du temps ». Il y a dans cette citation deux sous-entendus majeurs. Premièrement, il ne considère pas ses citoyens comme étant responsables puisqu’ils ne seraient pas encore adultes. Deuxièmement, il construit une société et un système différents, loin du passé et de la démocratie libérale… c’est l’autoritarisme éclairé. Je suis souverain sur mon peuple, mais je suis responsable de leur livrer la marchandise promise dans le cadre de notre pacte.
C’est ainsi que dès son arrivée au pouvoir en 2000, il s’empresse de supprimer l’élection des gouverneurs par les citoyens des provinces pour les nommer lui-même. Il censure les médias, rétablit le prestige de l’armée, les symboles communistes et tsaristes et réprime les citoyens ou groupes de citoyens qui menacent l’autorité de l’État. Les oligarques sont sommés de se mettre au service des intérêts économiques de la Russie; les Tchétchènes, condamnés à respecter les frontières de la Russie et les régions, obligées d’obéir à Moscou plus qu’à leurs intérêts locaux. Toutes ces actions montrent le peu de considération que Poutine octroie à la démocratie, mais ont le mérite d’engranger une forte croissance économique, et le retour tant attendu de l’autorité de l’État. Poutine est le Léviathan de Hobbes, le sauveur de la Russie.
À ce titre, sa volonté est celle du peuple qui confirme en 2000, 2004, 2008(via Medvedev) et 2012 sa volonté de maintenir le pacte social qui limite ses droits et libertés au profit de la sécurité et de la prospérité. Moi citoyen russe, « J’autorise cet homme (Poutine) et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu (les autres citoyens) lui abandonnes ton droit et autorises toutes ses actions de la même manière.» Hobbes, 1651.
Par Guillaume A. Callonico