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DOSSIER EUROPE: Les partis antisystèmes: une menace réelle pour l’Union européenne?

Pour élire leur nouveau président, le 22 mai, les Autrichiens ont le choix entre un candidat d’extrême-droite et un écologiste, une situation inédite en Europe. Pour spectaculaire qu’il soit, ce balayement des partis traditionnels n’est pas toutefois pas unique, et de loin. Au cours de la dernière décennie, la grande majorité des pays de l’Union européenne (UE) ont vu leur paysage partisan reconfiguré sous la poussée des partis habituellement appelés « antisystèmes ». Si cette dynamique se profile depuis un moment, elle s’est sans nul doute accentuée sous le coup de la crise économique qui sévit depuis 2010. Après un tour d’horizon des situations les plus remarquables, nous nous pencherons sur les facteurs qui favorisent l’émergence de ces partis, et évaluerons la menace qu’ils font peser sur l’Union européenne.

Les partis antisystèmes se caractérisent par une très faible, voire inexistante, expérience de gouvernement, un positionnement anti-élite fort, et une opposition radicale au système en place (qu’il s’agisse du système politique, des partis traditionnels ou du modèle économique), ce qui explique que, bien qu’ayant des idéologies diamétralement opposées, on rassemble en général sous ce label les partis d’extrême-droite et d’extrême-gauche. Néanmoins, en regardant de plus près, on constate une très grande diversité tant en termes de structure de partis, que de positionnement idéologique.

En effet, parmi les cas les plus frappants, on retrouve des mouvements issus de la base, comme le mouvement Cinq Etoiles en Italie, qui s’est structuré par le biais de communautés virtuelles, ou Podemos, issus du mouvement social des indignés en Espagne. D’autres cas sont des partis (ou coalition de partis) institutionnalisés depuis de nombreuses années, tel SYRIZA, parti de gauche radicale au pouvoir en Grèce depuis janvier 2015. En termes d’idéologie, la diversité est tout aussi marquée entre des partis eurosceptiques, vouant une opposition viscérale à l’UE, prônant la sortie de l’UE comme UKIP (United Kingdom Independance Party) au Royaume-Uni ou de l’Euro, comme l’AFD (Alternative Fur Deutschland) en Allemagne, et d’autres comme Podemos ou SYRIZA, qui souhaitent reformer profondément les politiques européennes (notamment vers plus de redistribution), et que l’on peut donc qualifier d’euro-critiques ou d’alter-européens. Une autre ligne de fracture fondamentale est le positionnement xénophobe des partis d’extrême-droite tels que le Front National en France, le Parti de la Liberté en Autriche (FPÖ) et aux Pays-Bas (PVV), les Démocrates suédois, le parti du Peuple Danois, ou encore le parti néo-nazi grec, Aube dorée.

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Ces formations politiques ont en revanche comme point commun fort de gagner du terrain dans de nombreux pays, bouleversant le jeu des partis traditionnels et, pour certains comme SYRIZA, accédant au pouvoir en capitalisant sur la défiance de plus en plus grande des citoyens envers les institutions, les partis politiques de gauche comme de droite, et l’Union européenne. En effet, par leur rhétorique anti-élite et leur promesse de changement, ces partis attirent des portions toujours plus larges de l’électorat, se posant avec succès comme réponse aux changement survenus dans la sphère politique nationale : contrainte budgétaire toujours plus forte, érosion de l’État-providence et de l’État-nation, délégation de pouvoirs vers un niveau supranational dans lequel les citoyens ont de moins en moins confiance.

La crise économique qui touche les pays européens depuis 2010 a encore davantage érodé la confiance des citoyens dans les institutions et dans les partis comme acteurs du changement, tendance accrue dans plusieurs pays par les scandales de corruption qui ont fait la une des journaux ces dernières années (en Italie, en Espagne). On constate partout une augmentation du cynisme et de la méfiance envers le politique, comme l’illustre le cas de la France : en 2015, seuls 12% des Français avaient confiance dans les partis politiques, une majorité n’avaient pas confiance dans les institutions et dirigeants au niveau national et européen, et 65% ne faisaient confiance ni à la droite ni à la gauche (Source : Baromètre de confiance politique du Cevipof, 2015).[1]

Les élections européennes de 2014 ont vu ces partis arriver premiers dans plusieurs pays, et il faut souligner que, loin d’être une exception, ces succès électoraux se sont dans plusieurs cas doublés de résultats très élevés au niveau local ou national : UKIP, le Parti du Peuple Danois et le FN sont arrivés premiers avec plus de 25% des voix et ont poursuivi sur leur lancée en obtenant respectivement 13% aux élections législatives de 2015 (contre 3% aux législatives précédentes), 21% aux élections législatives de 2015, et 27% aux élections régionales de 2015. Si les élections européennes sont fréquemment utilisées par les électeurs pour sanctionner le gouvernement national en place et envoyer un message, il semble que ce ne soit plus seulement le cas, et que ces résultats témoignent d’une dynamique montante des partis antisystèmes qui se retrouve au niveau national.

Au-delà des trajectoires nationales, le Parlement européen actuel rassemble en son sein le plus fort pourcentage de partis critiques ou hostiles à l’UE depuis les premières élections européennes de 1979 : 23% des députés appartiennent à des partis largement qualifiés d’eurosceptiques. Toutefois, pour évaluer la menace que cela fait peser sur l’intégration européenne, il est essentiel de différencier l’euroscepticisme d’extrême gauche, qui est, dans une très grande majorité des cas, davantage une critique radicale de l’UE sur la base des politiques européennes, qu’une opposition au projet européen ; et l’euroscepticisme d’extrême droite qui trouve ses racines dans le nationalisme et constitue ainsi une opposition catégorique à l’intégration européenne. Cette distinction entre partis eurocritiques et partis eurosceptiques a pour conséquence que les premiers sont partie intégrante du jeu parlementaire (rassemblés pour la plupart dans le groupe de la Gauche Unitaire Européenne) alors que la cohabitation des seconds dans divers groupes politiques tels que l’Alliance pour la Démocratie directe en Europe (qui rassemble notamment le Mouvement Cinq Etoiles et UKIP), et le Mouvement pour l’Europe des Nations et des Libertés (groupe porté par le FN, le FPÖ, ou encore la Ligue du Nord) a toujours été plus orageuse et se porte davantage sur l’obstruction parlementaire que sur la production active de politiques européennes. En ce sens, le constat est double. Si les décisions prises par l’UE sur les dossiers tels que la crise économique montrent que les partis alter européens ou eurocritiques ne jouissent que d’une influence très limitée, la portée des partis eurosceptiques d’extrême-droite au sein de l’UE apparait elle aussi beaucoup plus réduite que les résultats électoraux ne le laissent entendre. La dynamique de consensus qui prévaut au sein des institutions européens, et notamment l’équilibre des pouvoirs entre le Parlement, le Conseil de l’UE et la Commission neutralisent l’action des partis antisystèmes dans l’arène européenne. La véritable menace pour l’UE et plus largement les bases de nos sociétés démocratiques ne découle donc pas de l’action des partis d’extrême-droite au Parlement européen, mais bien de leur succès grandissant au niveau national.

Laurie Beaudonnet,
EUROSCOPE, Professeure adjointe au Département de science politique de l’Université de Montréal

 

[1] Baromètre de la confiance politique, CEVIPOF, Vague 7, 2015.

http://www.cevipof.com/fr/le-barometre-de-la-confiance-politique-du-cevipof/tendances/confiances/

 

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