En rafale

Et si l’Asie entraînait le monde dans une nouvelle Guerre mondiale ?


En pleine course aux armements, paraît en 1910 La Grande Illusion de Norman Angell qui défend l’idée selon laquelle la guerre est rendue quasiment impossible dans notre monde tellement les économies étaient rendues interdépendantes. C’est l’âge d’or du capitalisme et d’aucuns ne risquerait à déclarer un conflit qui mettrait sérieusement en péril sa propre survie économique et celle du monde. L’histoire lui donnera largement tort tant le conflit qui allait émerger devint mondial.

Aujourd’hui, nombres de politologues et économistes posent un discours semblable tant les économies du monde semblent à nouveau encore plus dépendantes les unes des autres. Indiscutablement, la valeur du commerce international a bien augmenté de 1300% depuis 1991 pour représenter près de 30% du PIB mondial aujourd’hui contre 15% en 1914. Cela signifie-t-il pour autant que la guerre est derrière nous ? Si l’optimisme d’Angell a trompé le monde il y a 100 ans, et que les économistes d’aujourd’hui n’ont pas su prévenir la crise de 2008, comment pourrait-on penser que le discours du capitalisme mondialisant aurait de nouveau triomphé sur la guerre? Et ce, d’autant plus que, comme à la veille de 1914, nous sommes en pleine course mondiale aux armements alors que tous les indicateurs économiques annoncent une mondialisation infatigable.

« La course aux armements ne pouvait être que perdante » Saint-Exupéry

Entre 1890 et 1914, les dépenses militaires des puissances belligérantes avaient doublé. Moins rassurant encore, elles représentaient une part deux fois plus élevée dans les PIB nationaux en 1938 qu’à la veille de la Première Guerre mondiale.

Et aujourd’hui, alors que le monde n’est plus divisé en deux camps, que le capitalisme a gagné tous les États jusqu’aux plus autoritaires d’entre eux, il existe une nouvelle course aux armements. Depuis 1996, les dépenses militaires mondiales ont quasiment doublé ; et les États-Unis avec leurs guerres en Irak et en Afghanistan sont loin d’être les seuls responsables de ces augmentations. Selon le SIPRI (institut international de recherche sur la paix de Stockholm), les dépenses militaires sont passées de 961 à 1776 milliards $US (en dollars constants de 2011) entre le milieu des années 90 et 2013, soit 355 fois le budget des opérations de maintien de la paix de l’ONU. C’est l’Asie (Moyen-Orient inclus) qui a connu les plus importantes hausses de budget de l’ordre de 300% et c’est la Chine qui domine ce classement avec une augmentation de 725% de ses dépenses sur la même période.

Si le budget américain a quasiment doublé (384 milliards $US en 1996 contre 720 en 2013), celui-ci représente aujourd’hui 38% des dépenses militaires mondiales contre 40% en 1996. Autrement dit, le doublement du budget américain, aussi impressionnant soit-il en valeur, ne compense pas son déclassement relatif par rapport à d’autres régions. L’Asie représente aujourd’hui 35% du budget militaire mondial contre 18% seulement il y a 20 ans. Et cette tendance va continuer à s’accroître tant que la Chine, la Russie et l’Arabie Saoudite (respectivement 188, 90 et 66 milliards $US en 2013 contre 26, 25 et 17 milliards $US en 1996), pour ne citer qu’elles, continueront d’augmenter massivement leurs budgets quand l’Europe et les États-Unis commencent à alléger le poids que fait peser ce secteur sur leurs dettes.

Alors que Walter Russel (professeur de politique étrangère à Bard College, New York) dans son dernier article, précisait que les conditions d’un nouveau conflit mondial n’étaient pas réunies, car l’OTAN, les drones américains et l’arme nucléaire en seraient les facteurs ultimes de dissuasion, on comprend mal pourquoi les 2/3 des États de la planète ne l’ont pas saisi en s’engageant dans cette course aux armements, même les plus nucléarisés d’entre eux (États-Unis, Chine et Russie).

Dictatures et guerres

Plus inquiétant encore, les pays responsables de ces fortes hausses sont, pour la plupart d’entre eux, des pays autoritaires. Cette variable est d’autant plus importante qu’historiquement les guerres ont toujours impliqué au moins un acteur autoritaire, sinon l’ensemble. À l’inverse, si les démocraties entrent en guerre contre des États autoritaires, il n’existe aucun cas de guerre entre deux démocraties. Ainsi, cette nouvelle course aux armements est alarmante dans la mesure où le nombre de points de friction avec des puissances autoritaires ne cesse de se multiplier comme à l’aube des deux guerres mondiales.

L’expansion de l’OTAN, la crise en Ukraine, les rivalités irano-saoudiennes, la crise syrienne, le retour des fanatismes religieux en Irak ou en Afghanistan, l’endettement des puissances occidentales ou les crises asiatiques (îles Senkaku, mer de Chine méridionale) sont autant de points de friction entre les puissances déclinantes et démocratiques du système (États-Unis, Japon et Europe) et les puissances montantes autoritaires (Chine, Russie, Moyen-Orient).

Alors : guerre ou pas guerre ?

Contrairement au sous-entendu du titre, cet article ne peut prédire si une nouvelle guerre mondiale aura ou n’aura pas lieu, car les politologues ne sont pas mieux placés pour prédire l’avenir que les économistes. Toutefois, il est intéressant de constater les étranges similitudes entre le monde de 1914 et celui de 2014. L’économie y est prospère, la mondialisation encore plus florissante aujourd’hui qu’il y a 100 ans, et le monde connaît une nouvelle course aux armements opposant puissances démocratiques à puissances autoritaires.

Signe apaisant toutefois, le système international n’est pas régulé de la même façon. Alors qu’en 1914 les relations d’État à État prévalaient sur la coopération multilatérale, c’est l’inverse aujourd’hui. Les organisations internationales, qui se sont multipliées, diversifiées et renforcées depuis 60 ans, offrent un espace de discussion et de concertation qui n’existait pas en 1914, et qui était demeuré à un stade très embryonnaire avant 1939.

Ainsi, sans prédire un prochain conflit mondial, cet article rappelle que le contexte international, notamment asiatique, loin d’être en tout point similaire à celui de 1914, n’en est pas moins inquiétant et alarmant.

Guillaume A. Callonico (M.Sc.)
Professeur de science politique, Brébeuf (Montréal).

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