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L’État islamique : l’expansion mondiale d’une menace locale

 

L’organisation État islamique, fermement implantée en Syrie et en Irak, renverse la notion de terrorisme comprise jusque-là. En effet, cette organisation modifie les orientations de la lutte djihadiste en la matérialisant sur un territoire local placé sous son ascendant. Ainsi, l’État Islamique se distingue de sa sœur ainée Al-Qaïda, qui privilégie plutôt un terrorisme plus global axé contre l’Occident. Toutefois, depuis l’intervention de la communauté internationale dans la crise, l’État Islamique a clairement menacé l’Occident de représailles, en appelant ses sympathisants à venger l’organisation sur le sol occidental. Alors quid de la menace de l’EI ? Locale ou mondiale ?

Une menace régionale

Les priorités principales de l’État islamique sont d’abord locales. En effet, l’objectif central de l’État Islamique est évident : la conquête de Bagdad, symbole du califat Sunnite Abbasside (750-1258), modèle sur lequel se base l’État Islamique[1]. De fait, l’émir Abou Bakr Al-Bagdhadi, chef de l’organisation, proclame le 29 juin 2014 la restauration du califat sur les territoires dominés[2]. L’État islamique ambitionne donc de devenir un État Panislamiste qui unirait tous les Sunnites sous un même gouvernement, sur un territoire au cœur du monde arabe, et il s’en donne les moyens financiers, militaires et humains[3]. Aujourd’hui, l’État islamique peut prétendre remplir plusieurs fonctions d’un État souverain, dont l’application de l’ordre sur un territoire contrôlé[4].

En outre, l’État islamique reste local dans la mesure où il confessionalise sa lutte armée : les cibles privilégiées ne sont plus nécessairement occidentales mais bien Chiites. Ces derniers sont effectivement, pour l’État islamique, les premiers responsables de l’humiliation sunnite de l’ère post-Saddam Hussein. Dépossédés de leurs droits, écrasés militairement et marginalisés par le gouvernement central chiite Irakien, les fondamentalistes sunnites sont désormais en quête d’une revanche totale, d’où leur déchainement de cruauté emblématique. Peu après la prise de Mossoul, deuxième ville d’Irak, plusieurs centaines de soldats irakiens de confession chiite sont ainsi massacrés, leurs corps jetés dans des fosses communes[5].

Finalement, le califat renie les frontières régionales, acceptées depuis près d’un siècle et nées des accords secrets signés en 1916 par les diplomates britannique Mark Sykes et Français Georges-Picot.[6] Lors de la proclamation du califat, L’État Islamique en Irak et au Levant (EIIL) devient l’État islamique (EI), se débarrassant ainsi des contraintes frontalières qui ne représentent plus rien de concret à ses yeux. Son territoire, à cheval sur la frontière irako-syrienne, est le symbole même du projet d’éradication de la géographie locale. Ainsi, l’État islamique projetterait de s’étendre dans la région, atteignant ainsi le Liban, la Jordanie, l’Égypte et même la Palestine[7].

extrait du documentaire de ViceNews: Bulldozing the Border Between Iraq and Syria: The Islamic State (Part 5)

Extrait du document de Vice News: Bulldozing the Border Between Iraq and Syria: The Islamic State (Part 5)

Une menace internationale  

Malgré la priorité de la situation locale, l’État islamique possède des atouts lui conférant une portée internationale. L’organisation se distingue des autres groupes terroristes par sa surprenante capacité d’attraction. En effet, l’organisation a développé une stratégie médiatique passant par l’utilisation des réseaux sociaux qui réussit à attirer de  nombreux jeunes individus à travers le monde, notamment en Occident. Ainsi, au début de mois de juin dernier, plus de 3000 ressortissants occidentaux avaient rejoints l’État islamique sur les 12 000 combattants étrangers, dont plus de 700 Français[8]. Le danger est plus important pour l’occident dans la mesure où ses ressortissants ont la possibilité de revenir librement sur leurs territoires d’origine pour y commettre d’éventuels actes terroristes. Pour les autorités occidentales, ces infiltrations sont très difficilement détectables, et peuvent s’avérer dévastatrices. [9]

Aussi, depuis la création de la coalition internationale, l’État islamique a explicitement démontré son engagement dans le djihad international, se rapprochant ainsi de la tradition terroriste axée contre l’Occident. L’organisation a ainsi ouvertement appelé ses sympathisants à menacer l’Occident. « Si vous pouvez tuer un incroyant Américain ou Européen […] ou un Australien ou un Canadien, ou tout […] citoyen des pays qui sont entrés dans une coalition contre l’État Islamique, alors comptez sur Allah et tuez-le de n’importe quelle manière », a lancé Abou Mohammed al-Adnani, porte parole de l’État islamique, dans un message diffusé en plusieurs langues[10]. L’organisation revendique de ce fait les récentes attaques des « loups solitaires », perpétrées au Canada. À Ottawa notamment, l’attaque du 22 octobre exécutée par Michael Zehaf-Bibeau avait fait un mort, un militaire Canadien, avant que le présumé terroriste ne soit abattu à l’intérieur même de Parlement.[11]

Finalement, l’État islamique semble avoir développé un réseau d’alliances dépassant largement les limites du Moyen-Orient. En effet, une multitude de groupes terroristes à travers l’Asie et l’Afrique lui ont prêté allégeance, se soumettant ainsi à son autorité[12].  Cette présence de groupes affiliés à l’État islamique s’avère menaçante car elle élargit la capacité d’action de l’organisation au-delà de l’Irak et de la Syrie, ou d’éventuels ressortissants occidentaux peuvent se trouver. Ainsi, le 24 septembre dernier, le groupe djihadiste « les soldats du califat en Algérie » revendiquait le kidnapping et le meurtre du citoyen français Hervé Gourdel[13]. Quelques mois plus tôt, ce groupe précédemment lié à Al-Qaida avait prêté allégeance à l’État islamique, semblant ainsi répondre à l’appel au meurtre d’occidentaux.

 

Une puissance locale menaçant de s’étendre

L’État islamique semble donc constituer une organisation ayant des priorités locales développant un potentiel d’expansion international. En effet, l’organisation semble encore loin de ses pleines capacités de développement, qui ne cessent d’augmenter depuis le début du conflit. Chaque jour, il continue à apprendre, à s’élargir et à s’adapter, sans rencontrer de réelles menaces pour sa survie[14]. En effet, l’État islamique sait pertinemment que les forces occidentales ne les menaceront pas directement en Syrie[15], ou sur le sol Irakien – la politique de non-intervention du président Obama ayant été largement affichée. L’État islamique se nourrit de son expansion, s’approvisionnant en armes et en personnel sur les territoires conquis. Les victoires de l’organisation continuent à attirer une masse de combattants étrangers (notamment d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et d’Europe) de plus en plus grande. Aujourd’hui, l’État islamique contrôle un territoire et une capacité financière jamais égalée dans l’histoire des organisations terroristes. Avec des revenus dépassant les 2 milliards de dollars à l’été 2014[16], l’État islamique aurait les capacités de faire plus de 4000 « 11 septembre ». La menace existe bien, reste à savoir si l’EI conservera longtemps cette forme de quasi-État ou s’il reprendra une forme de menace plus transnationale comme l’est toujours Al-Qaeda.

Dina Akram et Yvan Faure, étudiants en études internationales au collège Jean de Brébeuf

 

[1] Benraad, M. (2014). Les sunnites, l’Irak et l’État Islamique. p. 93

[2] Ibid. p. 93.

[3] Ibid. p. 97.

[4] Bourgeois, Jano. 2014 «  L’État Islamique, un non-État non islamique ». Monde68 http://monde68.brebeuf.qc.ca/2014/12/08/daesh-etat-islamique-le-non-etat-non-islamique/

[5] Benraad, M. (2014). Les sunnites, l’Irak et l’État Islamique. p. 95

[6] Paris, G. (2014). Proche Orient, les rendez-vous manqués de la démocratie.

[7] Boot, M., Kirkpatrick, J. (2014). Defeating ISIS

[8] De Mareschal, E. (5 novembre 2014). En Syrie, un jihadiste Occidental sur trois serait francais.

[9] ISIS, Cyberattacks, and Other Threats to Homeland Security.

[10] Agence France Presse. (22 septembre 2014). Une nouvelle menace de l’État islamique cible le Canada.

[11] Ibid.

[12] Le Douarant, M. (10 novembre 2014). CARTE, où sont les groupes alliés des djihadistes de l’EI.

[13] Ibid.

[14] Davidson, J. (2014). In Iraq/Syria conflict, the Islamic State Leverages International Community’s Self-Imposed Boundaries.

[15] Ibid.

[16] Benraad, M. (2014). Les sunnites, l’Irak et l’État Islamique. p. 95

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