En rafale

La politique étrangère américaine à la croisée des chemins

Comme l’affirme le journaliste conservateur Charles Krauthammer dans sa chronique hebdomadaire du Weekly Standard « le déclin n’est pas une condition. C’est un choix! ». Cette déclaration met en relief les décisions difficiles qui attendent les prochaines administrations américaines. Face aux coûts faramineux associés au maintien de leur suprématie et à la montée fulgurante de la Chine, les États Unis sont à la croisée des chemins. Faut-il opérer un repli stratégique et partager le fardeau du maintien de l’ordre international avec d’autres grandes puissances? Ou encore faut-il, comme le soutien Krauthammer, maintenir la prééminence américaine en augmentant le budget de la défense et en multipliant les interventions en sol étranger?

 

Il est impossible de prédire quelle voie emprunteront les États Unis, mais en examinant la politique étrangère de la première puissance mondiale depuis 1991, on peut retracer les différentes tendances qui se déploient d’une administration à l’autre et se risquer à quelques pronostiques. En effet, en examinant les engagements actuels des États Unis en sol étranger, il s’agira de savoir si ces derniers ont bel et bien les moyens de leurs ambitions géopolitiques.

 

L’effondrement de l’Union Soviétique en 1991 consacre la victoire des États Unis et de son modèle économique et culturel. Du jour au lendemain, les États Unis deviennent l’unique super puissance, ce qui laisse à croire à certains qu’une nouvelle ère de paix et de prospérité est à l’horizon[1]. L’invasion du Kuweit par les troupes de Saddam Hussein dissipe rapidement cette impression et amène le Président Bush sénior à fixer les paramètres d’un « nouvel ordre mondial » , caractérisé par l’économie de marché, la démocratie et le respect du droit international.

 

La politique étrangère du président Clinton est quant à elle nettement moins ambitieuse. Elle se borne souvent à favoriser l’ouverture des marchés et se fait plus hésitante quant à des interventions à l’étranger, notamment en Bosnie-Herzégovine et au Rwanda.

 

Tout cela va changer avec les attentats terroristes du onze septembre. Le président George W. Bush va mobiliser la puissance militaire des États Unis pour défendre et réaffirmer les principes de la liberté et de la démocratie contre la tyrannie et le terrorisme islamique. Sous l’influence d’une poignée de conseillers néoconservateurs, George W. Bush entend faire de l’Irak la base d’un vaste programme de démocratisation du Moyen-Orient. Cette campagne s’accompagne d’une rhétorique plus belliqueuse qui ne manquera pas de contrarier une bonne partie de l’opinion publique internationale et de marquer un recul de l’agenda humanitaire au profit de la sécurité nationale.

 

La controverse autour de l’invasion de l’Irak, l’échec cuisant des campagnes militaires américaines et des initiatives visant à unifier les différents groupes ethniques irakiens, ont grandement miné la crédibilité des États Unis dans le reste du monde et le soutien de la population américaine à cette guerre. Au niveau géopolitique, il apparaît aussi fort probable que les guerres en Irak et en Afghanistan ne procureront pas d’avantages géopolitiques durables pour les États-Unis.

 

Le successeur de George W. Bush, Barack Obama, va donc s’empresser de se dissocier du programme de son prédécesseur en adoptant une politique étrangère plus modeste, prudente et conciliante.

 

En marge des interventions américaines depuis la fin de la guerre froide, d’autres développements comme l’ascension fulgurante de la Chine et l’influence grandissante des autres pays émergents comme le Brésil et l’Inde, laissent entrevoir une modification dans la balance du pouvoir à international. Selon plusieurs commentateurs, on serait en voie de passer d’une ère unipolaire[2], caractérisée par la suprématie incontestée des États Unis, à une ère multipolaire, qui serait plus incertaine et dangereuse pour certains[3] et plus stable pour d’autres[4].

 

Les débats autour du déclin de la puissance américaine ne datent pas d’hier mais ont acquis une intensité nouvelle depuis quelques années. En effet, la crise financière de 2008, où des institutions financières majeures comme Lehman Brothers se sont carrément effondrées, et où l’État américain a dû venir en aide à plusieurs banques et compagnies d’assurance, a exposé la fragilité de l’économie américaine.

 

Malgré la reprise et la hausse récente du dollar, les déficits budgétaires et commerciaux du pays demeurent très élevés et les inégalités sociales et économiques ne cessent de s’accroitre. De plus, les coûts extraordinairement élevés des campagnes militaires en Afghanistan et en Irak ont certainement contribué à l’affaiblissement de la position des États Unis sur la scène internationale.

 

Si le président Obama n’a pas entériner l’approche de son prédécesseur qui consistait à envoyer des troupes sur le terrain (« boots on the ground »), son administration s’est tout de même engagée dans plusieurs régions du monde. De la volonté d’endiguer la Russie à celle de défaire l’État Islamique, en passant par le rapprochement avec l’Iran et le soutien au Yémen et à l’Arabie Saoudite dans la répression des rebellions chiites, la politique étrangère américaine demeure ambitieuse et éparpillée.

 

Les pronostiques du déclin de la puissance américaine doivent cependant être nuancés. Premièrement, l’attrait exercé par la culture américaine est incontestablement plus grand que celui de la culture chinoise, et cet aspect, qui tient de ce que le politologue Joseph Nye a appelé le « soft power »[5], revêt une importance particulière pour le maintien de l’influence américaine dans le monde. Deuxièmement, la puissance militaire américaine est infiniment supérieure à celle de ses plus proches compétiteurs, incluant la Chine. Troisièmement, les États Unis exercent encore un grand contrôle sur l’architecture financière globale, intimement liée aux institutions financières américaines et aux décisions du trésor[6].

 

La politique étrangère de Barack Obama a récemment fait l’objet de critiques parfois virulentes autant de la part des républicains que de son propre parti. Ces critiques envisageraient notamment un durcissement de la position américaine envers l’Iran, allant même jusqu’à une intervention militaire au sol, et une plus grande implication en Ukraine de même qu’en Syrie et en Irak pour vaincre l’État Islamique.

 

En parallèle, l’ascension fulgurante de l’Asie, et surtout de la Chine, dans le domaine manufacturier mais aussi de plus en plus dans les domaines militaires et financiers, continue de préoccuper bien des législateurs américains et constitue sans doute le plus grand défi géopolitique des années à venir. Les États-Unis auront-ils la capacité de maintenir tous leurs engagements? Pour l’instant, on peut dire que la première puissance mondiale se retrouvent devant deux options; une politique axée sur la domination, l’interventionnisme et l’inimitié et une autre axée sur la modération des ambitions géopolitiques, la cohérence et le partage des responsabilités. Le choix entre ces deux options déterminera sans doute la rapidité et les formes du « déclin » américain.

 

Par Philippe Fournier, chercheur invité au CÉRIUM, chargé de cours en science politique à l’Université de Montréal et à l’Université du Québec à Montréal.

 

[1] Fukuyama, Francis, La Fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 2009.

 

[2] Wohlforth, William C. « The Stability of a Unipolar World », International Security, vol. 24, n. 1, 1999, p. 5-41.

 

[3] Voir Mearsheimer, John J. The Tragedy of Great Power Politics, New York, Norton, 2001, p. 338 et Waltz, Kenneth, Theory of International Politics, Long Grove, Waveland Press, 2010, ch. 8.

 

[4] Deutsch, Karl and J. David Singer, “Multipolar Systems and International Stability,” World Politics, vol. 16, n. 3,  1964, p. 390-406.

 

[5] Nye, Jr. Joseph S. « Soft Power », Foreign Policy, n. 80, 1990, p. 153-171.

 

[6] Panitch, Leo and Sam Gindin, The Making of Global Capitalism, Londre, Verso Books, 2012.

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