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La complexe réalité du trafic humain en Europe

Actuellement, les médias du monde entier nous inondent d’informations à propos des réfugiés syriens. Néanmoins, en dépit de cela, un des sujets les plus graves et les plus oubliés du monde, la traite humaine, continue. Dans l’esprit de plusieurs, la traite humaine concerne seulement le tiers-monde. Cependant, force est de constater que ceci n’est pas le cas. En effet, en ce moment même, au sein de l’Europe, région du monde pourtant réputée pour sa sécurité, des réseaux de trafiquants s’affairent à leurrer des innocents dans l’esclavage. Ceci représente ce que plusieurs considèrent comme la face cachée de l’immigration clandestine interne en Europe. Un réseau unilatéral opérant de l’Europe de l’Est vers l’Europe de l’Ouest, profitant ainsi de la situation précaire des pays de l’Est.

Tout d’abord, il est impératif de définir la situation géographique ainsi que la situation politico-économique  de cette région. Bien que plusieurs opinions divergent quant à la limite «territoriale» de l’Europe de l’Est, la plupart des politologues  s’entendent pour affirmer que cette région désigne les pays européens ayant été contraints d’adhérer à un régime communiste à la suite de la Seconde Guerre mondiale, cependant en omettant l’ancienne Allemagne de l’Est, mais en incluant la Grèce. Les frontières s’étendraient donc de la Pologne au nord, jusqu’en Grèce au sud.

Bien que la plupart de ces pays se soient libérés de l’emprise du communisme durant les années 90, avec la dislocation de l’Union soviétique en 1991, et que la plupart ont joint les rangs d’associations occidentales comme l’Union européenne (EU8, huit États de l’Europe de l’Est qui ont adhéré  à l’Union Européenne en 2004)  et même l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, l’OTAN , la situation économique de la majorité de ces nations demeure précaire. En effet, un important écart de revenu existe entre les pays orientaux et occidentaux de l’Europe. Par exemple, le PIB par habitant de la Moldavie, État faisant partie de l’Europe de l’Est, était à peine 2 000$, tandis que celui de l’Allemagne était de plus de 45 000$ en 2014.

PIB per capita relatifs en Europe.

PIB per capita relatifs en Europe.

L’inégalité des revenus et la facilité d’accès au reste du continent sont sans aucun doute les facteurs contribuant aux hauts taux d’immigration en provenance de l’Europe de l’Est vers les pays riches tels que le Royaume-Uni et l’Allemagne. Selon l’Office for National Statistics du Royaume-Uni, plus de 2.5 millions de migrants provenant de l’Europe de l’Est,  profitant de l’Espace Schengen , sont parvenus dans la partie occidentale du continent.

Espace Schengen

Espace Schengen

Cependant, tous n’ont pas la même chance. Certains, moins chanceux, se font leurrer par des réseaux criminels de trafic humain, qui réduisent de jeunes hommes et femmes en esclavage. Ceci est la face cachée de l’immigration clandestine interne en Europe. En effet, selon un rapport de  l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) parut en 2010, le trafic humain est classé comme l’activité illégale la plus lucrative de l’Europe, représentant un marché de 2,5 milliards de dollars , exploitant à chaque année plus de 70 000 nouvelles victimes.

La majorité des victimes modernes proviennent de pays dans la péninsule des Balkans, soit la Roumanie, la Bulgarie ou la Moldavie, principalement à cause de la situation économique précaire de ces pays. Ces trois nations à elles seules représentent plus de la moitié des victimes de trafic humain secourues entre 2005 et 2007 en Europe, soit plus de 4300 victimes. Notons que seule une infime partie des victimes ont été repérées. Il est en fait communément accepté qu’il y actuellement 600 000 à 800 000 victimes de trafic humain dans le Vieux Continent.

Selon le rapport de l’ONUDC, contrairement à l’opinion prépondérante de la population, une grande partie de la traite humaine en Europe se passe à l’intérieur du continent, entre les pays de l’est et les pays de l’ouest. Sans surprise, la majorité des victimes sont des femmes, principalement des jeunes femmes non mariées qui sont exploitées dans des domaines sexuels. Néanmoins, près de 20% des victimes sont des hommes. En effet, bien que la majeure partie des victimes soient exploitées à des fins sexuelles, une nouvelle branche de la traite d’humains a vu le jour récemment, soit l’exploitation économique; une branche qui «emploie» des victimes de tous les sexes.

De nos jours, le processus de recrutement des victimes s’avère très différent de celui du temps de la traite négrière. En effet, avec des criminels plus éduqués et mieux organisés, la force est de moins en moins employée, faisant place à des manipulations au niveau psychologique; en présentant de fausses offres d’emplois, ou en  offrant des situations «gagnant-gagnant» où les victimes sont conscientes de leur rôle et pensent qu’elles vont travailler librement alors qu’elles se font exploiter. Le processus se fait donc aujourd’hui dans l’ombre, avec des victimes qui ne sont même pas conscientes des faits. Ce n’est qu’une fois sur place qu’elles découvrent la vraie nature de leur travail. Cela, selon la Campagne Cœur Bleu, une campagne internationale visant à sensibiliser la population sur l’esclavage moderne dans le monde, est une des raisons pourquoi on n’entend que si peu parler de ces victimes.

Afin d’éviter que certaines essayent de s’enfuir, ces dernières se font confisquer leur passeport et comme le crime organisé possède des cellules partout en Europe, les victimes sont périodiquement transférées d’un endroit à l’autre afin de les déstabiliser. Selon un témoignage, une jeune fille originaire de la Moldavie a notamment été exploitée dans 4 pays différents, soit l’Italie, le Royaume-Uni, Israël et la Turquie, et ce, en l’espace de trois ans.

Bien que les changements s’avèrent longs et ardus, plusieurs protocoles mis en place durant les dernières années ont eu le pouvoir de sensibiliser les gouvernements à propos de cette problématique. Une des ces mesures, The Protocol to Prevent, Suppress and Punish Trafficking in Persons, Especially Women and Children par l’ONU qui demande aux États d’adopter des lois concernant le trafic humain, a notamment été ratifié par 117 pays . Les effets de ce traité dépassèrent largement les attentes. En effet, en 2003, alors que les deux tiers des États n’avaient aucune loi criminalisant la traite humaine, aujourd’hui, seuls 5% des pays du monde n’en sont pas dotés. Le travail futur consiste largement en un travail de sensibilisation et prévention. Alors que les États prennent peu à peu conscience de la situation, les évènements ne peuvent qu’aller vers le mieux.

Chen Yang
Étudiant au baccalauréat international, Collège Jean-de-Brébeuf

 

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