Partager la publication "Quand la France révolutionnaire déclare la guerre au monde : brève synthèse des causes des guerres révolutionnaires françaises 1791-1792"
Le 20 avril 1792, le gouvernement révolutionnaire français se voyait dans la douloureuse obligation de briser le traité d’alliance de 1756 avec l’Autriche sous prétexte que cette dernière faisait planer un danger ignoble sur la sécurité de la France. Sans le savoir, les politiciens français ainsi que le roi des Français, Louis XVI, venaient de déclarer la guerre aux monarchies d’Europe et allaient engouffrer leur population dans un conflit qui s’étendra de 1792 à 1815. Or, nous verrons que la décision prise par l’Assemblée Législative française de déclarer la guerre à l’Autriche émane d’avantage d’une complexe conjoncture internationale et de problèmes politiques internes issus de la Révolution française elle-même. Nous aborderons les réactions internationales des puissances européennes vis-à-vis la France révolutionnaire et comment ces dernières vont tenter, dès 1790, d’isoler la France sur la scène européenne. Ensuite, nous expliquerons comment les conflits internes entre Girondins, Jacobins et les partisans du roi vont pousser le gouvernement français à voir dans la guerre une solution politique viable pour régler les querelles internes qui divisent le pays.
Les monarchies européennes face à la Révolution française 1789-1791
Les monarques européens ont une réaction ambiguë lorsqu’ils apprennent la prise de la Bastille en 1789. Beaucoup d’États se réjouissent de voir un rival économique, militaire, et dans le cas de l’Angleterre, colonial s’affaiblir par des conflits internes1. Dans les monarchies de l’Est (Prusse, Autriche, Russie), le début de la Révolution est l’occasion rêvée de procéder au dépeçage du territoire polonais sans interférence française. Il y a cependant un bémol à ce tableau : les souverains craignent la contagion, dans leurs États, des idées révolutionnaires ainsi que les débordements populaires. Ces derniers ont toujours en tête la révolution démocratique dans les Pays-Bas, appelée Révolution batave, inspirée des États-Unis en 1776, qui a forcé le roi Guillaume V à fuir son royaume. Seule l’intervention armée de la Prusse lui a permis de reprendre le contrôle de ses terres2. C’est dans cette logique que l’Autriche, qui a réprimé un soulèvement populaire dans les Pays-Bas autrichiens en 1790 (Belgique), demande l’aide de la Prusse, la Russie et l’Angleterre au Congrès de Reichenbach pour créer un front antilibéral. Les révolutionnaires français n’ont d’autres choix que de s’adapter à cette nouvelle réalité internationale. Ils adoptent entre 1789-1791 une diplomatie pacifiste. C’est pour rassurer les monarchies que les révolutionnaires proclament le décret de la « Déclaration de paix au monde » où la France renonce à toutes formes de conquêtes et d’expansions territoriales3. Cependant, une conjoncture internationale et des divisions internes vont pousser les révolutionnaires à la guerre.
Deux problèmes forcent les révolutionnaires à intervenir sur la scène internationale : l’affaire du rattachement d’Avignon (alors possession des États pontificaux) et l’émigration des nobles français partis se réfugier en Allemagne. Le rattachement d’Avignon pousse les révolutionnaires dans un dilemme : faut-il aider les peuples demandant leur rattachement à la France au risque de précipiter un conflit armé? Les révolutionnaires d’Avignon mettent l’Assemblée législative devant le fait accompli et l’annexion se fait sans coup férir, mais crée un climat international tendu. Parallèlement, les émigrés français font du lobbying international afin de convaincre les puissances européennes d’intervenir militairement en France. C’est pour calmer leurs demandes que l’Autriche et la Prusse rédigent la Déclaration de Pillnitz en 1791 afin d’avertir le gouvernement révolutionnaire de ne pas mettre en danger la vie de Louis XVI et Marie-Antoinette. Or, cette déclaration excite le sentiment nationaliste en France et stimule les tensions internes déjà vives depuis 1790.
La marche vers la guerre et les problèmes internes en France
La fuite du roi à Varennes en 1791 scelle le sort de la monarchie et sera le catalyseur des tensions d’une Assemblée divisée entre une gauche républicaine (Jacobins-Montagne) et une gauche plus centriste (Girondine) qui veut à tout prix préserver la place du roi dans le système politique. La déclaration de Pillnitz fait suite à la fuite manquée du roi et de sa famille à Varennes. Le désir de préserver le roi sur le trône met les Girondins en difficulté politique puisque les Jacobins les accusent de faire le jeu des contre-révolutionnaires. Si au départ les partisans de la guerre sont réunis dans les salons parisiens, la fuite à Varennes leur permet de prendre progressivement contrôle de l’Assemblée ainsi que de la presse4. C’est dans cette conjoncture que différentes factions politiques (jacobine, girondine, monarchiste), qui se détestent, mais qui perçoivent dans la guerre le moyen d’atteindre leurs buts politiques, décident d’adopter une politique ouvertement belliciste à l’endroit des monarchies européennes. Les Girondins veulent la guerre afin de raffermir leur pouvoir à l’Assemblée tout en faisant une alliance concurrentielle avec l’Angleterre pour bloquer les puissances autrichienne et prussienne5. Les Jacobins veulent la guerre, car ils sont convaincus que les Girondins seront incapables de la diriger efficacement et ils pourront prendre la majorité à l’Assemblée. Louis XVI et son entourage veulent la guerre. Ils sont persuadés que les armées françaises, affaiblies par l’émigration et la réorganisation révolutionnaire, seront incapables de combattre les armées autrichiennes et le roi des Français pourra ainsi se débarrasser d’une révolution qu’il n’a jamais acceptée. Il y a donc une alliance objective entre les différentes factions pour la solution armée6. Le discours de paix universelle décrété en 1791 est aussi remplacé par celui de la guerre révolutionnaire censée apporter la liberté aux peuples : « La guerre de la liberté est une guerre sacrée, une guerre commandée par le ciel, elle purifie les âmes. »7
L’Assemblée appuie les partisans de la guerre et applique une série de décrets radicaux qui tendent les relations internationales : les émigrés doivent retourner en France d’ici deux mois sous peine d’être déclarés traîtres au pays et les princes allemands doivent les expulser de leurs territoires. Finalement, le 15 mars 1792, Louis XVI nomme des ministres girondins aux Affaires Étrangères et aux Finances. La guerre est finalement déclarée le 20 avril 1792. Nous avons ici un excellent exemple d’une déclaration de guerre dont les causes sont une complexe suite d’interactions internationales et de forces profondes en France. Pour conclure, il est nécessaire d’interpréter cette déclaration de guerre comme le désir d’une France visant la récupération d’une prépondérance européenne qu’elle a progressivement perdue en Europe au courant du XVIIIe siècle.
Francis Abud (M.A) Histoire
Université de Montréal
Bibliographie
Attar, Frank. Aux armes citoyens! Naissance et fonction du bellicisme révolutionnaire, Paris, Éditions du Seuil, 2010, 395 pages.
Biard, Michel& Dupuy, Pascal. La Révolution française. Dynamiques, influences, débats 1787-1804, Paris, Éditions Armand Colin, 2005, 348 pages.
Dupuy, Pascal. La république jacobine. Terreur, guerre et gouvernement révolutionnaire 1792-1794. Nouvelle histoire de la France contemporaine – 2, Paris, Éditions du Seuil, 2005, 366 pages.
Solé, Jacques. Les révolutions de la fin du XVIIIe siècle aux Amériques et en Europe : 1773-1804, Paris, Éditions du Seuil, 2005, 357 pages.
1 Michel Biard & Pascal Dupuy. La Révolution française. Dynamiques, influences, débats 1787-1804, Paris, Éditions Armand Colin, 2005, p.218.
2 Jacques Solé. Les révolutions de la fin du XVIIIe siècle aux Amériques et en Europe : 1773-1804, Paris, Éditions du Seuil, 2005, 357 pages.
3 Michel Biard & Pascal Dupuy. La Révolution française… p.219.
4 Frank Attar. Aux armes citoyens! Naissance et fonction du bellicisme révolutionnaire, Paris, Éditions du Seuil, 2010, p.55.
5 Michel Biard & Pascal Dupuy. La Révolution française… p.223.
6 Frank Attar. Aux armes….. p. 270.
7 Ibid,. p. 221.