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Protection de la biodiversité : la Convention sur la Diversité Biologique entre les beaux principes et la réalité

Par Jano Bourgeois

À elle seule, la question des changements climatiques représente une menace existentielle à la civilisation humaine telle qu’on la connaît. Alors qu’on peine à agir collectivement à travers le travail du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat (GIEC) et les rencontres des parties à la Convention des Nations Unies sur les changement climatiques pour régler ce problème, une autre menace environnementale pèse sur l’humanité : la perte de biodiversité. Cette crise, mentionnée notamment par Elizabeth Kolbert dans son livre La 6e extinction, représente elle aussi une menace existentielle pour notre espèce.

Au cœur de l’importance de la biodiversité est le fait que l’humanité n’est pas extérieure aux écosystèmes planétaires; nous en sommes une partie intégrante et dépendons de leur bon fonctionnement.

L’importance de protéger la biodiversité a été reconnue politiquement en même temps que celle de lutter contre les changements climatiques, soit lors du sommet de la Terre à Rio de Janeiro, en 1992. De cette grande conférence internationale organisée par l’Organisation des Nations Unies (ONU) sont sorties trois conventions internationales cruciales : la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUC), qui a donné lieu au Protocole de Kyoto ainsi qu’aux Accords de Paris, la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CLD) et, finalement, la Convention sur la diversité biologique (CDB), sur laquelle portera ce court texte.

Entrée en vigueur le 29 décembre 1993, la CDB a trois buts principaux :

  1. la conservation de la biodiversité ;
  2. l’utilisation durable de ses éléments ;
  3. le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques.

La façon de travailler est de développer dans un cadre international des stratégies nationales pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique. Au cœur du régime de la CDB repose la vision du monde du développement durable. Les États-Unis sont le seul grand absent de cette convention parce qu’ils s’opposent à des dispositions de la CDB à propos des droits de propriété intellectuelle.

Figure 1:Pays parties à la Convention
(source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Convention_sur_la_diversit%C3%A9_biologique )

En vert :          Parties à la Convention
En lilas :          Signé mais pas ratifié
En orange :     Non signataire

En octobre 2010, lors de la 10e Conférence des parties, à Nagoya, les pays membres ont adopté le protocole de Nagoya. En ce qui touche la conservation de la biodiversité, un plan stratégique 2011-2020 a été adopté. Il inclut 20 sous-objectifs quantifiés (communément appelés les Objectifs d’Aichi), notamment un objectif de suppression en 2020 des subventions dommageables à la biodiversité (Objectif 3) ainsi que la création d’un réseau d’espaces protégés couvrant au moins 17 % de la surface terrestre et 10 % des océans (Objectif 11). On a aussi jugé bon de fonder l’équivalent du GIEC pour la question de la biodiversité, soit la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES pour son sigle en anglais). Sa mission est de rassembler et renforcer le savoir de qualité en lien à la biodiversité pour améliorer les politiques publiques de conservation et d’usage à long-terme de la biodiversité dans une optique de développement durable.

Il y a donc une volonté politique, largement partagée et librement consentie de la part des États, d’agir pour protéger la biodiversité. Il y a aussi une source d’information solide pour éclairer les décideurs, l’IPBES.  Il y a donc des raisons de croire que, d’ici 2020, les objectifs d’Aichi seront accomplis et la biodiversité protégée…

Malheureusement, la réalité est tout autre. Dès 2014, d’importants problèmes de progression ont été notés dans un rapport technique du secrétariat à la CDB. Plus récemment, des scientifiques américains et brésiliens ont cru bon de publier un communiqué pour prévenir le monde que les progrès actuels ne sont pas assez rapide pour éviter une crise majeure de la biodiversité. Plus récemment, Mme Cristiana Paşca Palmer, qui dirige le Secrétariat de la CDB, faisait le même constat d’un échec annoncé. Il y a consensus : il y a des progrès[1] et des reculs, mais les progrès ne sont pas suffisants. Nous sommes en voie d’échouer aux objectifs minimaux que nous nous sommes fixés.

Pourquoi est-ce le cas alors qu’il s’agit d’un enjeu d’une telle importance?

De nombreuses raisons existent. Tout comme dans le cas des changements climatiques, expliqué dans un article Monde68 précédent, une bonne partie du problème peut s’expliquer par la notion d’échec d’action collective. En bref, il s’agit d’un problème commun qui doit être réglé collectivement mais les acteurs peuvent tous avoir espoir que les efforts des autres seront suffisants pour ne pas, eux, avoir à faire des sacrifices.

            À une échelle plus locale, très fréquemment, les décisions en faveur de la conservation de la biodiversité font face à une féroce compétition basée sur le gain économique à court terme. Que favoriser, la protection d’un milieu humide en zone périurbaine où se retrouvent des rainettes faux-grillons, ou un développement immobilier qui fera rapidement entrer des taxes foncières et des impôts tout en enrichissant le promoteur? Il y a donc une accumulation de microdécisions locales. Globalement, elles ont un impact néfaste sur la biodiversité. Cependant, quand on les évalue en faisant un calcul coût-bénéfice à rationalité limitée (ce qui en général, exclut les éléments difficiles à calculer, ou facile à externaliser, comme la valeur de la biodiversité) on peut arriver à la décision de procéder et d’approuver un projet immobilier en milieu humide ou continuer à subventionner une industrie polluante. Il apparaît donc « rationnel » de réduire la biodiversité…

Un autre obstacle, lui aussi partagé avec les changements climatiques, est celui de la complexité du problème. En effet, sans une solide culture scientifique, la notion même de biodiversité comme richesse inestimable est difficile à appréhender. Les interactions dans les écosystèmes sont subtiles et parfois contre intuitives. Le cadre temporel des effets de la perte de biodiversité sur la vie humaine est aussi trop large pour que le lien causal soit facilement perceptible. Pour le dire autrement : il n’est pas simple de lier menace sur les papillons, libellules et coccinelles à la qualité de vie humaine, alors que la perte d’un emploi dans l’industrie de la construction pour protéger la biodiversité est aisément ressentie en termes de qualité de vie.

Dernier facteur, l’attention du public et des décideurs est limitée. En ce moment, d’énormes efforts ont été consacrés, à juste titre, à la question des changements climatiques. Cependant, la crise de la biodiversité et celle des changements climatiques ne peuvent pas réellement être priorisées : les deux crises sont intimement liées et s’influencent l’une l’autre. Régler la question du climat tout en détruisant la biodiversité ne mène à rien de positif, pas plus qu’ignorer le climat et protéger la biodiversité n’a de sens. Les deux problèmes doivent être réglés conjointement.


[1] Par exemple, les aires protégées ont progressé, atteignant 15% des surfaces terrestres et 7% des océans. Par contre, nombre de ces aires protégées sont dans des endroit d’une faible importance en termes de biodiversité, remplissant surtout la fonction de démontrer le « progrès » fait par un État plutôt que de réellement conserver la richesse naturelle qu’est la biodiversité.

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