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Changements climatiques : l’échec du « rationnel »

Les changements climatiques sont un phénomène réel et déstabilisant pour l’ensemble de la planète. À cet effet, un consensus scientifique, représenté par les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) – créé en 1988 en vue de fournir des évaluations détaillées sur l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parade – existe et, sauf ignorance ou mauvaise foi, ne peut être nié.

Cependant, depuis la signature, en 1997, du Protocole de Kyoto, un accord international visant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, plusieurs pays signataires ne cessent de tergiverser et bloquent l’application de mesures collectives pour régler ce problème éminemment global. Il s’agit d’un cas typique d’échec d’action collective où la communauté globale identifie un problème majeur et bénéficierait de ne pas endommager le système de régulation du climat planétaire mais où les États, pris comme acteurs individuels, empêchent la résolution du problème.

 

Les constats du Cinquième Rapport d’évaluation : « Changements climatiques 2014 »

Le rapport de synthèse du rapport 2104 a été publié le 1er novembre 2014. Les conclusions principales de ce rapport sont : qu’il est encore possible de limiter l’élévation de température à 2°C si les émissions mondiales de gaz à effet de serre sont «réduites de 40 à 70% entre 2010 et 2050» ; que le CO2 issu des combustibles fossiles joue le rôle majeur parmi les émissions de gaz à effet de serre ; que si les réserves de combustibles fossiles disponibles sont entièrement utilisées, des réchauffements de l’ordre de 4 à 5°C seraient atteints en 2100, ce qui entraînerait une poursuite de ce réchauffement au siècle suivant jusqu’à 7 ou 8°C.

Logo du GIEC (IPCC)

Logo du GIEC (IPCC)

De son côté, une étude de la Banque Mondiale, conclut que le coût de l’adaptation à des changements climatiques de l’ordre d’une hausse de 2°C en 2050 est de l’ordre de $70 à $100 milliards par année. D’autre part, comme l’a mentionné Sri Mulyani Indrawati, directrice générale et directrice des opérations à la Banque Mondiale :

« We now know that climate action does not require economic sacrifice. This is fully in line with the World Bank Group’s findings. It is up to all of us to make smart policy choices that will help combat climate change. »

Bref, le problème est sérieux, documenté et des pistes de solutions existent. Pourquoi alors ne pas agir?

 

La « rationalité » de ne pas agir

On peut ici utiliser la métaphore de la tragédie des biens communs. Il s’agit d’une situation dans laquelle des acteurs, ici les États, qui agissent de façon autonome en se basant de manière rationnelle sur leur seul intérêt privé finissent par épuiser une ressource collective limitée, ici la capacité de la planète à réguler le climat, même s’il est clair que ce n’est pas dans l’intérêt à long terme de qui que ce soit.

C’est ainsi que la Chine considère, au nom du principe de responsabilité commune mais différenciée de la Déclaration de Rio, que les pays développés, tels que le Canada et les États-Unis, pays historiquement responsables des changements climatiques, devraient en faire plus pour réduire leurs émissions mais aussi pour financer la lutte des pays en développement contre ce phénomène, alors que les États-Unis trouvent que la Chine devrait en faire davantage pour contrôler ses propres émissions puisqu’elle est en ce moment l’un des plus grands émetteurs du monde. Chaque acteur a donc un intérêt privé à faire porter le fardeau de la résolution du problème commun sur les autres acteurs.

Cette réalité n’est cependant pas suffisante pour expliquer le blocage, surtout considérant que la Banque Mondiale affirme que des solutions qui ne nécessitent pas de sacrifices collectifs significatifs existent. Une autre dimension, outre les relations internationales entre les États, doit nécessairement être abordée : l’intérêt privé des acteurs non-étatiques, principalement les entreprises pétrolières et gazières.

Pourquoi, en effet, tel que rapporté par Le Monde et documenté par Robert Brulle, des entreprises financent-elle secrètement les climato-sceptiques et climato-négationnistes pour semer le doute quant au consensus scientifique sur ce dossier? Encore une fois, il y a la question de l’intérêt privé contre l’intérêt public et du calcul à court-terme contre le calcul à long terme.

Si dans l’intérêt commun des citoyens d’un État, adopter des politiques d’économie verte comme le propose la Banque Mondiale est rationnel, les entreprises qui dépendent en partie des énergies fossiles pour générer des profits pour leurs actionnaires n’ont pas intérêt à ce que ce virage se fasse avant qu’elles aient épuisé les profits à générer de cette manière. Et ce surtout si ce sont d’autres entreprises qui ont l’expertise pour profiter rapidement de cette nouvelle économie… Est-il nécessaire de rappeler l’influence qu’ont les grandes entreprises sur les décisions des gouvernements?

On peut étendre cette analyse à l’exploitation des sables bitumineux au Canada. Cette volonté d’exploiter de manière effrénée cette ressource vient en partie du fait que l’on sait pertinemment, parce que le GIEC le dit clairement, que ce ne sera pas possible dans le futur. Les profits doivent donc se réaliser maintenant, pas dans 20 ans alors que la communauté internationale aura réussi à vaincre son problème d’action collective et que l’exploitation des énergies fossiles à grande échelle ne sera plus possible.

Bref, il peut être « rationnel, » si on se base sur une conception strictement privée de l’intérêt avec une vision à court terme, de bloquer la mise en place d’un régime efficace pour contrer l’essor des changements climatiques provoqués par l’humain.

 

L’accord entre des acteurs majeurs comme porte de sortie?

Le 12 novembre 2014, Barack Obama, président des États-Unis et Xi Jinping, président de Chine, annoncent avoir conclu un accord sur la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Si, selon les climatologues et des mouvements environnementaux, ces objectifs sont nettement en dessous de ce qui est nécessaire pour avancer sérieusement dans la résolution du problème, il reste que cet accord illustre le fait que négocier à deux, dans ce cas-ci les deux premières puissances économiques qui produisent environ 45% des gaz à effet de serre, permet parfois d’avancer puisqu’on peut construire une confiance mutuelle crédible et un dialogue qui est difficile dans une arène à 194 pays. Par contre, il reste à voir si le parti républicain maintenant majoritaire dans les deux chambres, pourra bloquer l’effort américain en ce sens, inspiré par les intérêts privés qui le financent.

Pour le futur, si cet accord est respecté, toute la question est de savoir si son effet sera de marginaliser et délégitimer les négociations internationales ou bien s’il est de bon augure pour la conférence sur le climat (en 2015 à Paris) et poussera les autres États à agir sérieusement, et collectivement, contre les changements climatiques.

Jano Bourgeois
Professeur de sciences politiques

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