En rafale

Changements climatiques: les coûts de l’inaction

Depuis la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de 1992 (CCNUCC) jusqu’à la 24eme conférence de l’ONU sur le climat (COP24) qui s’est tenue à Katowice, en Pologne, en décembre 2018, le même cri d’alarme revient, toujours croissant : il faut d’urgence stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. 

Les rapports successifs de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), du Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et de dizaines d’ONG et d’autres organisations environnementales constituées de centaines de scientifiques de haut niveau, vont dans le même sens. Il faut d’une part réduire le réchauffement anticipé, maintenir à moins de 2 degrés centigrades à l’échelle globale, la hausse de la température moyenne de la planète en comparaison des moyennes observées avant 1750.  D’autre part, il faut investir massivement dans les infrastructures en vue de réduire la vulnérabilité des populations régionales, tout particulièrement celles des pays en développement qui ne disposent pas de moyens adéquats pour faire face aux effets dévastateurs des changements climatiques.

Malgré les controverses[1] sur l’origine humaine des changements actuels du climat, ou de la remise en cause des modèles proposés par les climatologues, la grande majorité des scientifiques sont convaincus de l’urgence d’une action concertée même face aux incertitudes. Il faut engager les États, les collectivités, les corporations, les individus, dans des mesures visant à réduire substantiellement nos émissions de GES et apporter des changements drastiques dans notre gestion de la Terre et de ses ressources. La croissance démographique jumelée aux standards de consommation, de plus en plus élevés dans plus de cinquante nouveaux pays émergents, exerce une pression insoutenable sur nos capacités à long terme.   Les dangers rattachés à l’inaction seraient par ailleurs immenses, Paradoxalement, les organisations les mieux outillées tel le GIEC ne parviennent que partiellement à convaincre les politiques à entreprendre des actions, à harmoniser les intérêts des grandes corporations, les priorités divergentes des nations industrialisées, des pays émergents, des pays en développement. 

Cependant, les sources d’inquiétudes se multiplient, pour ne citer que quelques-unes : La fréquence des évènements météorologiques extrêmes, la concentration des GES[2], la déforestation, l’acidification des océans, la perte de la biodiversité, la poussée démographique[3], la fonte des glaces, la montée des eaux, les sécheresses, l’accès à l’eau potable, les mouvements migratoires.  Plusieurs de ces manifestations sont le plus souvent reliées. Déjà en 2006 Nicholas Stern [4] a présenté au gouvernement britannique dans un rapport devenu classique, l’ampleur des dégâts environnementaux, les coûts qu’ils imposent à la société, l’utilité absolue d’une intervention globale et l’erreur de l’inaction. Les GES sont traités comme des externalités négatives qui imposent un coût énorme à l’échelle de la planète et qu’il faut au plus vite réglementer au moyen d’une taxe carbone ou d’un marché du carbone. Donner un prix au carbone[5] serait une manière de faire payer les agents pollueurs, de les responsabiliser pour les effets négatifs de leur production et les inciter à apporter des correctifs. 

On estimait alors que pour limiter les risques et maintenir la concentration de GES en bas de la barre de 500 ppm (parties par million) il faudrait s’engager à consacrer à cette mission 1% du PIB mondial pendant une quarantaine d’années et conséquemment, accepter de voir notre consommation diminuer du même ordre.  Dans l’hypothèse du laisser-faire et donc de l’inaction, les dommages s’élèveraient à 5% et même plus du PIB mondial. On assisterait alors à un recul 5 fois plus élevé de notre consommation, seuil intolérable politiquement et socialement. Les bénéfices de l’action dépassent largement les coûts de l’inaction. Les analyses récentes de l’Agence internationale de l’Énergie[6]aboutissent à des résultats similaires. Sur la base d’un PIB mondial actuel de 80 000 milliards de dollars US, il faudrait investir dans tous les domaines devant diminuer l’ampleur du réchauffement climatique 800 milliards par année[7], soit 1% du PIB, d’ici 2050. En l’absence d’un tel investissement les conséquences seraient 3 à 4 fois supérieures et l’éventualité d’un point de non-retour deviendrait vraisemblable. 

Des progrès considérables ont été pourtant réalisés dans plusieurs domaines. L’efficacité énergétique des bâtiments et des transports, deux des secteurs voraces en termes d’énergie, s’est nettement améliorée. Pour la première fois, en 2017, les investissements[8] dans les énergies alternatives et notamment solaires et éoliennes ont dépassé les investissements pétroliers et gaziers. Ils représentent un quart de la production mondiale d’électricité et plus de soixante pour cent de la nouvelle capacité de production installée. Grâce aux progrès techniques et aux économies d’échelles le coût de production d’un KW-h d’énergie solaire est sur le point de devenir plus bas que celui obtenu avec des énergies fossiles. L’automobile électrique se répand de plus en plus même si on est très loin du 15% des ventes d’autos prévu pour 2020 par l’AIE. Le couplage entre croissance économique et émissions de gaz carbonique, qui était la norme, n’est plus observé dans la plupart des pays industrialisés. Une portion de la production a fait l’objet d’une décarbonisation et la composante service dans le PIB augmente. Nos conceptions de l’aménagement urbain, des transports en commun évoluent dans la bonne direction. Les réseaux de distribution de l’électricité sont de plus en plus intelligents. Ils sont même capables de stocker l’énergie intermittente produite par l’énergie solaire ou éolienne et de la redonner sur demande. La conscientisation face aux dangers climatiques est de plus en plus répandue à toutes les catégories d’âges[9]. Mêmes les gestionnaires de fonds de placement prennent en compte l’emprunte carbone. Récemment le fonds souverain de Norvège qui gère plus de 1000 milliards de dollars, a entamé un retrait graduel de ses parts dans les énergies fossiles après s’être retiré du charbon il y a quelques années.

Malgré ces progrès indéniables, les émissions de GES continuent d’augmenter, la place du charbon dans le mix énergétique de plusieurs pays, prend du temps à baisser, les subventions aux combustibles fossiles se maintiennent, l’agriculture et l’élevage continuent leurs pratiques contraires au développement durable. L’agriculture extensive qui ne fait pas appel aux intrants chimiques devrait se substituer à l’agriculture intensive.  Les deux principaux éléments, régulateurs de la quantité de monoxyde de carbone présente dans l’atmosphère, soient les océans et les forêts qui pompent (pompaient) chacun 25% du CO2, sont en panne. Selon la FAO (Food and Agriculture Organisation), 13 millions d’hectares de forêts disparaissent chaque année malgré le reboisement et d’autre part, l’acidification des océans, consécutive à l’absorption de milliards de tonnes de CO2, depuis des décennies a diminué de 70% cette propriété essentielle. Les données démographiques actuelles et la croissance économique mondiale, malgré le ralentissement de l’économie chinoise, ne font que compliquer la situation et repousser à plus loin l’atteinte de la cible de 2 degrés C.  à la hausse. L’insuffisance de notre action peut nous mener à des hausses de 5 à 6 degrés C. d’ici la fin du siècle.

 Tous les facteurs en présence poussent vers une action concertée et rapide si on veut assurer un avenir à l’humanité. C’est notre culture, nos habitudes de consommation et de production, notre vision du monde qu’il faut reconsidérer.

Armand Sebbag

Professeur d’économie

Collège Jean-de-Brébeuf


[1] Notification du retrait des États-Unis de l’accord de Paris sur le climat soutenu par 198 états, en août 2017

[2] Le taux de concentration de CO2 a atteint 405 ppm, en 2017, une hausse de 150% par rapport à 1750.  Le CO2 reste pour plus d’un siècle dans la biosphère

[3] La population mondiale augmentera de 7,6 milliards à près de 10 m. en 2045, 1,2m. provient de l’Afrique

[4]  Ancien économiste en chef de la Banque mondiale et responsable du rapport « Stern Review »

[5] Pour motiver les producteurs d’énergie, les cimenteries et autres pollueurs à investir dans des méthodes de production écologiques il faudrait que le prix de la tonne de carbone soit de l’ordre de 100$, le plus souvent les bourses de carbone ne dépassent pas 15$

[6] World Energy Outlook 2017

[7] À ces montants s’ajoutent une aide de 100 milliards de $ par année pour aider les pays pauvres à s’adapter aux changements climatiques dont ils ne sont que très peu responsables.

[8] la contribution de la Chine aux développement des énergies alternatives est remarquable

mais leurs besoins énergétiques sont tels qu’ils sont bons premiers également pour les

centrales nucléaires et au charbon.

[9] Les manifestations récentes des jeunes autour du monde contre le réchauffement du climat, suivant l’appel de la suédoise Greta Thunberg

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *