Nous pouvons difficilement nous passer de notre voiture : quand le gouvernement français a tenté de faire réduire la consommation de pétrole des Français en augmentant la taxe sur le carburant, le pays s’enflamme, et accuse ses dirigeants d’élitisme. Il ne s’agit pas d’égoïsme ou de déni; c’est plutôt l’étalement urbain excessif ainsi que le développement de villes axées sur l’automobile depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui sont en cause. Un autre modèle est possible.
La banlieue telle qu’on la connaît est née après la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis, dans l’État de New York. Les frères William et Alfred Levitt ont conçu une méthode de fabrication à la chaîne des maisons, à partir de pièces préfabriquées, et fondent ainsi la ville de Levittown. Ces habitations, très abordables puisque financées par le gouvernement américain, permettaient de loger des vétérans appauvris et leurs familles, alors que le pays, en plein boom démographique, était au bord d’une crise de logement. De plus, comme les spectres de la Grande dépression et de la guerre planaient alors sur les États-Unis, cette entreprise permet de rassurer les craintes d’un soulèvement populaire. Levittown et les nombreuses villes qui seront développées selon son modèle se caractérisent par une faible densité urbaine et par l’absence d’un centre-ville. Les espaces résidentiels et commerciaux y sont séparés clairement.
Mais ces villes, qui en sont venues à symboliser l’individualisme et le consumérisme, ont causé une explosion de l’utilisation de l’automobile, au détriment du transport en commun. Sous l’impulsion des critiques d’un tel modèle, et partant de l’idée que notre environnement a une influence sur notre santé et notre bonheur, le nouvel urbanisme naîtra dans les années 80 comme modèle alternatif de développement urbain et se constituera même en un véritable mouvement social dans les années 90 : le Congrès pour le nouvel urbanisme (Congress for the New Urbanism) est ainsi fondé en 1993. Les néo-urbanistes proposent en effet de revenir à une morphologie urbaine traditionnelle, c’est-à-dire centrée sur l’humain, plutôt que sur l’automobile, et respectueuse du patrimoine local. Ils accordent beaucoup d’importance aux espaces publics, tels les squares et les places, qui encouragent l’interaction sociale et la vie communautaire. Leur ville idéale, à plus haute densité urbaine, aux rues étroites et où les commerces et les résidences se côtoient, s’organise de façon à favoriser les déplacements à pied, sinon, en transport en commun.
L’une des premières villes dessinées sur un modèle néo-urbaniste est Seaside, en Floride. Fondée en 1981 par Robert Davis, nostalgique de la vie communautaire de l’enfance de ses grands-parents, et son équipe d’architectes. La ville, organisée autour d’un grand espace vert communautaire, l’amphithéâtre, est notamment munie d’une réglementation favorisant la diversité architecturale. Seaside, victime de son succès? Une propriété valant 15 000 USD en 1981 se vend aujourd’hui à presque 3 millions! La ville aux rues étroites souffre également de terribles embouteillages causés par ses nombreux visiteurs qui cherchent peut-être à échapper à un paysage urbain moins réfléchi, le temps d’un après-midi ou de leurs vacances.
La communauté scientifique s’accorde toutefois à penser que les bienfaits environnementaux du nouvel urbanisme demeurent mineurs, à condition qu’une telle planification urbaine soit couplée avec d’autres politiques environnementales. Grâce à une utilisation moindre de l’automobile, cela améliorerait notamment la qualité de l’air et de l’eau, augmentant conséquemment la qualité de vie des citadins. Cependant, les détails des impacts environnementaux sont toujours méconnus, car le nouvel urbanisme n’est pas suffisamment répandu pour qu’il atteigne son plein potentiel environnemental. Le manque de volonté politique, la puissance économique et politique de l’industrie automobile ainsi que la consécration de la banlieue comme ultime symbole de la réussite économique dans l’imaginaire du rêve américain en sont partiellement responsables. En effet, aux États-Unis, les villes néo-urbaines se retrouvent souvent englouties par des océans de banlieues traditionnelles, et dans des agglomérations métropolitaines où le transport en commun est limité et peu développé, ce qui, malgré l’organisation de ces villes, force ses citadins à utiliser leur voiture, notamment pour se rendre au travail. Des observateurs avancent même que le Nouvel urbanisme est incompatible avec le modèle néolibéral. En effet, une telle urbanisation requiert une participation collective, une certaine implication des pouvoirs publics et une vision à long-terme, alors que le développement urbain aux États-Unis, actuellement, est plutôt l’œuvre du secteur privé et répond à une logique consumériste, qui préconise le rendement économique à court terme en satisfaisant les désirs des consommateurs. Cette hostilité des pouvoirs économique et politique a donné lieu à une abondance de critiques envers le nouvel urbanisme, certaines dont la légitimité est questionnable.
Par exemple, comme le nouvel urbanisme s’inspire de pratiques d’urbanisation du passé, ce mouvement a été taxé de nostalgie, inadaptation à la réalité contemporaine et, politiquement, a été assimilé à des positions réactionnaires. Toutefois, cette accusation de nostalgie s’apparenterait plutôt à une manœuvre rhétorique qu’à un réel argument. Le nouvel urbanisme, en incorporant des techniques de construction et de la technologie moderne, se veut ajusté à la présente réalité économique et démographique. De plus, puiser dans les réussites du passé pour bâtir nos modèles actuels peut relever de la sagesse plutôt que de l’irrationalité nostalgique. D’autre part, ceux qui reprochent au nouvel urbanisme d’être réactionnaire prétendent que ses codes architecturaux sont complaisants envers les valeurs bourgeoises, accentuant ainsi les fractions entre les classes sociales, et évoquent une forme de contrôle répressif. Or, cette critique semble quelque peu déconnectée de tous les problèmes liés à l’urbanisme contemporain, mentionnés précédemment. En outre, il est difficile de voir en quoi un urbanisme soumis à une logique de maximisation des profits est plus compatible avec les valeurs progressistes qu’un urbanisme respectueux de la culture et des besoins locaux.
Ainsi, adopter des politiques de développement urbain inspirées du nouvel urbanisme serait une piste de solution parmi d’autres pour réduire nos émissions de carbone. L’urgence climatique se présenterait donc comme une opportunité de rebâtir des communautés soudées et un monde à l’image des hommes, plutôt qu’à celle du marché.
Andrea Pavaluca, étudiante en Sciences humaines, Études internationales, Collège Jean-de-Brébeuf