En rafale

L’égalité sociale comme vecteur d’excellence dans l’enseignement supérieur scandinave

Université Aarhus, Danemark.
©Olivier Bégin-Caouette

Dans ladite « société du savoir », les universités assument les fonctions fondamentales d’être dépositaires des connaissances passées, de générer de nouvelles découvertes et de former une main-d’œuvre hautement qualifiée. Motivés par des ambitions tant économiques que politiques, les gouvernements d’un peu partout sur la planète ont mis en œuvre diverses réformes universitaires largement inspirées des systèmes d’enseignement supérieurs (SES) anglo-saxons, qui auraient la réputation de dominer la production scientifique mondiale. Or, le Danemark et la Suède produisent plus d’articles scientifiques et comptent plus de grandes universités de recherche que leur homologue états-uniens; ce qui contredit le discours ambiant prônant la décentralisation, la compétition et l’instauration (ou l’augmentation) des droits de scolarité. Il semble, en effet, que la performance remarquable des SES scandinaves ne soit pas incompatible avec l’équité dans l’accès à l’enseignement supérieur, ni avec l’égalité sociale.

C’est intrigué par l’atteinte de cet équilibre que j’entrepris, en 2014-2015, un périple au Danemark, en Finlande, en Norvège et en Suède afin d’y découvrir les facteurs qui, dans un contexte social-démocrate, favorisaient une telle performance. Des questionnaires et des entrevues réalisées à tous les niveaux du gouvernement, des conseils de recherche et des universités ont mis en relief l’influence de deux facteurs systémiques fondamentaux : l’internationalisation de la recherche et les traditions universitaires.

Université Aarhus, Danemark
©Olivier Bégin-Caouette

D’un côté, les pays scandinaves ont des populations de cinq à neuf millions d’habitants et, avec la surspécialisation des disciplines scientifiques, il n’est pas rare qu’il n’y ait qu’un seul chercheur dans une spécialité donnée dans tout le pays. Il importe alors, pour ces petits pays, de bâtir des équipes de recherche transnationales, de recruter des professeurs et des doctorants de l’étranger (afin d’éviter un certain népotisme) et de tirer profit des sommes substantielles allouées par le Conseil européen de la recherche.  D’un autre côté, les traditions universitaires comprennent la liberté universitaire des professeurs (soit la liberté de faire de la recherche sur le sujet qu’ils souhaitent et d’enseigner comme ils le souhaitent), de même qu’un financement public de la recherche qui la protège des aléas du marché.

Toutefois, au-delà de ces facteurs, les nombreux entretiens et questionnaires ont mis en lumière un phénomène inattendu : l’excellence universitaire ne s’atteignait pas malgré l’égalité sociale, mais grâce à elle. L’égalité sociale semblait en effet contribuer à la liberté universitaire des professeurs, aux investissements publics en recherche et à la croissance du nombre de chercheurs.

Université d’Helsinki, Finlande
©Olivier Bégin-Caouette

Premièrement, les citoyens des pays scandinaves sont réputés pour avoir confiance en leurs institutions, dont font partie les universités et les associations scientifiques. Les chercheurs et les experts ont d’ailleurs été au premier plan des grandes réformes ayant posé les jalons de la social-démocratie scandinave. Les citoyens savent donc que les universitaires contribuent à la société. Mais plus que cela, les écarts de salaires entre les différentes professions sont plus bas dans les pays scandinaves qu’ailleurs et, au terme de sa carrière, un professeur danois recevra une pension de retraite supérieure de seulement 10% à celle que recevra un charpentier. Les cols bleus n’ont ainsi pas l’impression de payer que leurs impôts servent à payer l’éducation d’une élite privilégiée et déconnectée et sont, par conséquent, plus disposés à laisser les chercheurs universitaires bénéficier d’une liberté universitaire suffisante pour qu’ils continuent de contribuer à leur société. Certes, les gouvernements des pays scandinaves ont imposé diverses mesures de reddition de compte au fil des ans, mais celles-ci prennent place dans un climat de confiance renforcé par l’égalité sociale.

Université Uppsala, Suède
©Olivier Bégin-Caouette

Deuxièmement, les États sociaux-démocrates, portés par des idéaux d’égalité, interviennent dans de nombreux services publics, dont fait partie la recherche universitaire. Et plus que la somme totale d’investissements en recherche, c’est le caractère public de ce financement qui lui confère son avantage. Par exemple, face à la crise financière de 2008-2009, plusieurs entreprises et bailleurs de fonds ont réduit leurs dépenses dans la formation et la recherche. Au contraire, les gouvernements danois et suédois les ont accrues, ce qui a donné une longueur d’avance aux secteurs innovants de leurs pays lorsque l’économie a repris.

Troisièmement, les pays scandinaves considèrent l’éducation comme un droit et ont, par conséquent, « dé-marchandé » l’accès équitable à l’enseignement supérieur. Les étudiants ne paient pas de droits de scolarité, reçoivent des bourses au premier cycle et un salaire (équivalent à celui d’un fonctionnaire) lorsqu’ils sont aux cycles supérieurs. Ils jouissent aussi de congés parentaux et de congés de maladie. Cette démarchandisation a augmenté le bassin de candidats aux postes de chercheurs, mais c’est le « productivisme » (la stratégie selon laquelle l’État favorise le potentiel productif des citoyens) qui a fait permis d’accroître de 32% le nombre de doctorats conférés entre 2002 et 2011 et, par conséquent, le nombre de chercheurs.

En somme, puisque les SES scandinaves sont perçus comme étant accessibles et contribuant à leur société, les citoyens leur accordent leur confiance et cette confiance protège la liberté universitaire des professeurs, de même qu’elle encourage les investissements publics en recherche. L’égalité sociale et ces investissements publics ont aussi permis d’accroître l’accès au doctorat et, par conséquent, le nombre de chercheurs. Et ce sont cette liberté universitaire, ce financement public et ces chercheurs qui ont fait des SES scandinaves des puissances scientifiques. L’égalité et la qualité ne sont donc pas antinomiques et, au lieu de viser l’équilibre entre les deux, il pourrait être plus porteur de repenser la relation entre les deux et s’efforcer de mieux comprendre comment l’égalité peut devenir un vecteur d’excellence.

 

Olivier Bégin-Caouette, Ph.D.
Chercheur postdoctoral
Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST), Université du Québec à Montréal (UQÀM)

Il a publié sur l’enseignement supérieur et les pays nordiques, il a notamment contribué un chapitre, « Les systèmes d’enseignement supérieur sociaux-démocrates et les classements internationaux des universités. » dans le livre Social-démocratie 2.1: Le Québec comparé aux pays scandinaves sous la direction de Stéphane Paquin.

Il fut également reçu comme chercheur invité à l’Université Aarhus, à l’Université d’Helsinki, à l’Université d’Uppsala et au Centre nordique d’études sur l’éducation, la recherche et l’innovation (NIFU)

Pour lire d’autres articles du Dossier nordicité européenne: Scandinavie + Finlande ainsi que son introduction.

 

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