Partager la publication "Le veto au conseil de sécurité des nations-unies: reliquat d’un passé disparu"
Maintenir la paix et la sécurité internationales par une action rapide et efficace. Voilà le mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies, tel qu’énoncé dans l’article 24 de la Charte de l’ONU. Comptant 5 membres permanents, soient les cinq Grands (Chine, États-Unis, Russie, France et Royaume-Uni) et 10 autres membres élus par l’Assemblée générale pour une période de 2 ans, le Conseil de sécurité fait partie des 6 organes principaux de l’ONU dès sa création en 1946. Cet organe reconnu comme étant le plus puissant fait, par contre, l’objet de plusieurs de critiques. Premièrement, plusieurs reproches concernent le faible nombre de membres et, par conséquent, le manque de représentativité. Par ailleurs, la plupart du temps, c’est le droit de veto accordé aux membres permanents, qui leur permet d’empêcher le Conseil d’adopter une résolution en votant négativement, qui est dénoncé. Le veto au Conseil a-t-il un réel impact négatif qui devrait inquiéter la communauté internationale?
Le « hidden veto », une menace sous-jacente
Depuis sa création en 1946, jusqu’à la fin de la guerre froide en 1989, 199 résolutions ont été bloquées par l’utilisation de vetos. Le nombre d’oppositions a drastiquement diminué depuis lors, avec seulement 20 vetos utilisés. Par contre, ce serait tirer une mauvaise conclusion que de dire que leur influence a diminuée. Il est primordial de garder en tête que l’utilisation de leur droit de veto n’est pas sans conséquence pour les 5 permanents; ils doivent ensuite faire face à des critiques majeures de la part de leur population et de la communauté internationale ce qui remet en cause leur bon vouloir et leur crédibilité. De ce fait, le « hidden veto », qui est la menace de refus, joue maintenant un rôle majeur dans les négociations. Puisque la majorité des discussions se déroulent lors de rencontres informelles, les permanents utilisent le chantage, la menace et même l’intimidation pour changer la position des autres puissances en leur faveur. Ceci peut s’avérer particulièrement dangereux lorsque le conseil discute d’un enjeu humanitaire. Bien que les puissances puissent apposer leur droit de veto sur une question d’ordre humanitaire en appelant le principe de non-ingérence, un tollé s’en suivrait. La menace du veto qu’ils possèdent est donc utile pour modeler la réponse du Conseil de sécurité selon leurs intérêts nationaux sans que leur image soit atteinte. Cette technique fut utilisée à plusieurs reprises, entre autres par les États-Unis ainsi que la France lors du génocide du Rwanda et par la Chine lors du conflit au Darfour, ce qui eut des conséquences désastreuses dans les deux cas.
Les intérêts au détriment de la paix internationale
Au cours de la Guerre froide, l’usage du veto d’un des cinq Grands est une suite de mesures appliquées dans le but de promouvoir et d’assurer le respect de ses intérêts particuliers, plutôt que ceux de la communauté internationale. Depuis, cette tendance a persisté, notamment au sujet des questions israélo-palestiniennes – de juin 1990 à mai 2009, le Conseil a adopté seulement 17 résolutions à ce sujet. Alors que les États-Unis ont apposé leur droit de veto sur 16 résolutions depuis janvier 1990, 14 de celles-ci concernaient Israël. L’utilisation mais aussi la menace de vetos des États-Unis ont empêché l’adoption de résolutions concernant la création d’une commission enquêtant sur la situation dans les territoires occupés, dont la nature illégale de l’occupation de Jérusalem-Est par Israël, et les attaques militaires israéliennes dans le nord de la bande de Gaza. On peut en conclure que le veto américain a été au service de leurs intérêts, et non de ceux de la communauté internationale qu’ils sont censés représenter et même servir. Suite à la présentation d’un projet de résolution proposé par le Maroc, demandant au président syrien Bashar al-Assad de se retirer et de céder son pouvoir – la première étape d’une transition démocratique – la Chine et la Russie ont utilisé leur droit de veto. Ceux-ci ont affirmé que, dans cette situation, la résolution allait au-delà des pouvoirs du Conseil de sécurité puisqu’il s’agit d’une question de gouvernance nationale. On aurait, à leur avis, ainsi brimé la souveraineté de la Syrie. Pour comprendre cet exemple, il faut garder en tête les liens entretenus entre la Syrie et la Russie, d’où la position de cette dernière. En effet, ces liens génèrent des milliards de dollars en vente d’armes tout en permettant à la marine russe de déployer ses navires à partir d’un port syrien, élargissant l’influence qu’elle projette à travers le Moyen-Orient et la Méditerranée. Un des problèmes qui découlent des autres présentés précédemment est que les membres du Conseil finissent par faire des compromis sur la spécificité des résolutions dans le but d’obtenir l’unanimité. Les clauses plus drastiques finissent donc par être amendées ou supprimées et l’efficacité de la résolution en est souvent grandement affectée.
De plus, l’influence des 5 grands va plus loin que sur la seule issue des résolutions. Dans les faits, ceux-ci influencent aussi l’agenda du Conseil de sécurité. Ils vont traiter prioritairement de ce qui les intéresse et vont passer sous silence les enjeux qui les touchent personnellement, ainsi que ceux qu’ils considèrent comme de « second ordre ». L’inaction du Conseil de sécurité dans la crise au Darfour qui a duré plus d’un an est saisissante puisqu’environ 1 million de personnes étaient déjà touchées lorsque le Conseil de sécurité a voté sa première résolution à ce sujet. Par contre, cette inaction n’est pas surprenante lorsqu’on sait que cette crise a débuté au même moment que l’action américaine en Irak. Les priorités n’étaient donc pas dans cette province soudanaise.
Le veto assure-t-il une stabilité?
Les défenseurs du droit de veto avancent souvent que ceux-ci permettent de limiter l’ingérence. Certes, cela restreint les actions du Conseil, mais assure le respect du principe fondamental de l’ONU qu’est le principe de non-ingérence dans les affaires d’un État. L’utilisation de la menace de veto peut être positive dans la mesure où elle sert à soulever un débat international. En 2003, à l’aube de l’action américaine en Irak, la France a publiquement confirmé qu’elle menaçait d’utiliser son veto contre tout projet de résolution autorisant une action américaine en Irak. Le pays souhaitait ainsi mobiliser d’autres puissances, en espérant faire pression sur les États-Unis dans le but ultime d’éviter une guerre.
Perspectives futures
En bref, il ne faut pas penser que le droit de veto est inoffensif puisqu’il est moins souvent utilisé. Il joue un rôle important en coulisse et a un effet tout aussi pernicieux qu’avant les années 90. Il est aussi alarmant que le droit de veto donne une notoriété à certaines puissances et régions du monde, au détriment d’autres qui sont sous-représentées. Par contre, les perspectives futures sont limitées puisque les membres permanents ont leur mot à dire, et ainsi un droit de veto, sur toute réforme du Conseil de sécurité. Il est donc utopique de penser que le veto sera aboli. Au-delà de l’ajout de membres permanents, une solution intéressante serait d’explorer des propositions comme celle de la France qui vise à établir une entente pour éviter que le veto soit utilisé lors de crime de masse, le tout dans le but d’accélérer le processus d’aide.
Par Éloïse Noiseux et Rita Cozma, étudiantes au Collège Jean-de-Brébeuf