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Le Canada et l’OTAN : stratégies de dissuasion non nucléaire à l’ère de la « guerre hybride »

En ce début d’année 2017, la prise de fonction de Donald Trump ne cesse d’engendrer des interrogations quant à la future politique étrangère des États-Unis. Entre ses déclarations électorales sur l’OTAN et les récentes évolutions qu’a connues celle-ci, proposer une analyse sur cette thématique peut s’avérer des plus utiles. C’est à cette tâche que s’est attelée la conférence internationale d’une journée intitulée « L’OTAN après le Sommet de Varsovie : Quelle place pour le Canada au sein de l’Alliance atlantique ? », organisée le 18 novembre dernier à l’Université de Montréal. Donnons la parole aux conférenciers :

Alexander Lanoszka, chargé de cours à la City University de Londres, a examiné les stratégies de dissuasion de la Russie. Il a souligné que la Russie est à la fois un État fort et un État faible, qui utilise différents outils politiques et militaires pour renforcer sa dissuasion. À titre d’exemple, Lanoszka a cité les « petits hommes verts », qui ont participé à l’occupation de la Crimée pendant la crise ukrainienne de 2014. Lanoszka a souligné que ces « petits hommes verts » ont non seulement contribué à l’annexion de la Crimée, mais également au renforcement des stratégies de dissuasion de la Russie. Bien que la Russie soit militairement plus faible que les États-Unis/OTAN – et de plus en plus également vis-à-vis de la Chine –elle exerce une domination régionale sur ses voisins, y compris l’Ukraine, sous la forme d’une capacité à provoquer des crises et des escalades circonscrites à une zone. Puisque les actions militaires directes contre ses voisins occidentaux risqueraient de provoquer une réponse sévère de la part des États-Unis et de ses partenaires de l’OTAN, la Russie a développé des outils créatifs et hybrides pour augmenter sa dissuasion tout en essayant de prévenir une escalade trop forte (i.e. la possible invocation de l’article 5 de l’OTAN sur la défense collective). Cette ambiguïté crée une incertitude pour tout le monde.

Matas Halas, chargé de cours en études stratégiques au Baltic Defense College de Tartu, en Estonie, a rappelé le passage historique de la dissuasion nucléaire à la dissuasion conventionnelle et les liens entre les deux. En vue des changements importants dans l’environnement sécuritaire, l’OTAN doit se concentrer sur les menaces potentielles qui restent au-delà de la portée des stratégies nucléaires et conventionnelles. Il a ensuite examiné les moyens sous-conventionnels employés par la Russie. Ceux-ci visent à déplacer la compétition entre les grandes puissances dans les zones géographiques dans lesquelles l’asymétrie est moins évidente. La Russie est en train de développer délibérément des outils politiques et militaires qui restent en dessous de l’invocation de l’article 5 de l’OTAN. Les membres de l’OTAN ont des difficultés à développer des stratégies efficaces pour dissuader Moscou au niveau sous-conventionnel et rassurer leurs alliés. Halas a suggéré le déploiement de petites unités multinationales non combattantes (combinant des fonctions de police et de personnel de patrouille) dans les zones frontalières vulnérables dans les trois pays baltes, Estonie, Lituanie et Lettonie. Ces unités non combattantes devraient être en contact quotidien avec les populations locales afin de répondre à leurs préoccupations. Elles pourraient compléter le travail des quatre bataillons de combat stipulés dans la déclaration de Varsovie.

Le Lieutenant-Colonel Alain A. Cohen, Régiment des Fusiliers Mont-Royal, a souligné la difficulté de définir la guerre hybride comme un mélange de contre-insurrection et de contre-guérilla. Malgré l’ambiguïté autour de ce terme, cela continue d’être une forme de guerre, et ce dans un contexte où pour rappel les deux parties prenantes disposent de missiles. LCol Cohen s’est appuyé sur sa récente publication sur la vie et les écrits de l’officier français David Galula, dont les stratégies de contre-insurrection ont influencé plusieurs conflits armés contemporains. Il a souligné que le Canada pourrait jouer un rôle en particulier dans le domaine de la formation compte tenu de l’expérience des Forces armées canadiennes en Afghanistan.

Samir Battiss, chargé de cours à l’Université du Québec à Montréal, a rappelé l’importance d’une perspective historique de longue durée. Nous avons souvent tendance à présenter la Guerre froide comme l’âge d’or de la dissuasion. Les défis de la Guerre froide et les leçons historiques du conflit pourraient nous aider dans l’élaboration des stratégies actuelles de dissuasion. En outre, Battis a souligné la nécessité de situer les politiques de l’OTAN dans les politiques de défense individuelles des partenaires transatlantiques et européens, étant donné que l’OTAN n’est pas une panacée et que chaque État souverain a ses propres responsabilités en matière de défense.

Pendant la discussion, les participants ont demandé si l’OTAN avait été surprise par l’annexion de la Crimée. Les panélistes ont répondu que le but même de toute stratégie militaire est la surprise. Cependant, ils ont également souligné que la crise de Crimée avait été longuement préparée par le Kremlin. Ils ont également argumenté que la force de l’OTAN est souvent la source de sa propre faiblesse. L’OTAN a passé plus de temps à essayer de définir la guerre hybride qu’à discuter des façons novatrices de réagir au nouvel environnement stratégique. L’alliance militaire transatlantique doit investir davantage dans la prévention des conflits. L’éventualité et la possibilité de développer une armée européenne furent un des autres thèmes abordés par les participants. Selon Samir Battiss, cela semble difficile compte tenu du risque de duplication avec l’OTAN et de l’état actuel des budgets de défense des États membres de l’UE. D’autres panélistes ont fait écho à cette interprétation soulignant qu’une armée européenne semble illusoire à l’heure actuelle.

 

Propos recueillis par Borzillo Laurent et Dominika Kunertova,
Doctorants en science politique, Université de Montréal

 

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