Partager la publication "Le Canada et l’OTAN : Sommet de Varsovie de juillet 2016, et ses conséquences pour l’OTAN à la lumière des tendances géopolitiques plus larges"
En ce début d’année 2017, la prise de fonction de Donald Trump ne cesse d’engendrer des interrogations quant à la future politique étrangère des États-Unis. Entre ses déclarations électorales sur l’OTAN et les récentes évolutions qu’a connues celle-ci, une analyse sur cette thématique peut s’avérer des plus utiles. C’est à cette tâche que s’est attelée la conférence internationale d’une journée intitulée « L’OTAN après le Sommet de Varsovie : Quelle place pour le Canada au sein de l’Alliance atlantique ? », organisée le 18 novembre dernier à l’Université de Montréal. Donnons la parole aux conférenciers :
Le général français Denis Mercier, commandant suprême allié Transformation de l’OTAN, a résumé les principales décisions prises lors du Sommet de Varsovie de 2016. Il a souligné l’importance de percevoir les crises régionales de façon holistique, compte tenu de leur interdépendance. Dans cette optique, le Sommet de Varsovie a réaffirmé l’engagement de l’OTAN envers son concept stratégique de 2010 basé sur la défense collective, la gestion des crises et la sécurité coopérative. Cependant, étant donné l’évolution continue des défis à la sécurité internationale et le passage d’un monde « compliqué » à un monde « complexe », l’OTAN a décidé d’élaborer une nouvelle posture pour le XXIe siècle en procédant à une analyse fonctionnelle de sa structure de commandement. Cette posture peut être définie comme un mélange approprié des forces et des capacités de défense conventionnelle, nucléaire, ainsi qu’en termes de défense missiles/antimissiles balistiques. Un aspect clé concerne le renforcement de la résilience, la préparation et la réactivité. L’OTAN doit également investir davantage dans les systèmes d’alerte précoce. Cela inclut le renforcement du partage d’informations classifiées et non classifiées. Étant donné le manque de partage d’information, les premiers signes de crises sont souvent manqués. Le Général Mercier a donc proposé le développement d’un projet de données open source qui centraliserait les informations non classifiées et accessibles au public. Un tel projet aurait pu contribuer à empêcher l’abattement du vol MH17 de Malaysian Airlines. Le Général Mercier a également salué l’engagement renouvelé de déployer des forces du Canada et des États-Unis en Europe.
Stephen Saideman, Professeur et Chaire Paterson en Affaires internationales à la Carleton University, a souligné l’importance de l’incertitude dans les relations internationales suite à la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine. Malgré les déclarations ambiguës de Trump, Saideman ne pense pas que l’OTAN sera forcément affaiblie. Cependant, il a souligné qu’il n’est pas clair si le Président Trump comptait honorer les engagements américains, étant donné qu’il a une approche de businessman à la politique, conditionnant les engagements des États-Unis aux obligations financières des autres États membres s’ils veulent bénéficier de la défense collective de l’OTAN. De plus, même si les membres de l’OTAN augmentaient leurs investissements dans la défense militaire, rien n’empêcherait Donald Trump d’adopter une attitude envers l’OTAN semblable à une forme de protection/racket. Il serait donc souhaitable que le Président Obama accélère le déploiement des bataillons américains promis (initialement prévu pour le printemps 2017). Un éventuel déploiement des forces américaines constituerait un geste symbolique fort, et permettrait d’éviter de donner au Président Trump l’occasion de bloquer le déploiement, étant donné ses relations serrées avec la Russie. La plus grande menace pour l’OTAN serait une situation dans laquelle l’article 5 devrait être invoqué, mais ne l’est pas.
Ziemowit Waligóra du Ministère de la Défense de la Pologne a présenté le point de vue de la Pologne concernant le Sommet de Varsovie. Il a souligné que les actions agressives de la Russie en Ukraine et ses activités provocatrices dans les périphéries de l’OTAN devaient être considérées comme des éléments changeant clairement la donne pour la sécurité européenne. L’action de la Russie en Ukraine s’inscrit dans une stratégie plus large qui vise à renforcer la présence militaire de la Russie, à travers l’amélioration du déploiement des forces armées russes, le renforcement des capacités A2/AD dans ses régions frontalières, la consolidation de sa présence maritime, ou encore en faisant de Kaliningrad une des régions les plus militarisées de l’Europe. La Pologne a donc accueilli favorablement la décision du Sommet de Varsovie concernant le déploiement de quatre bataillons de l’OTAN, prévu par les pays-cadres de l’OTAN en Europe de l’Est. Waligóra a appelé à la mise en œuvre effective des accords du Sommet, y compris l’unité de toutes les forces alliées dans la région, la promotion du transport stratégique, la bonne connaissance de la situation, STRATCOM, la liberté de manœuvre et la planification préalable.
L’animateur de la discussion, Alexander Lanoszka, de la City University de Londres, a demandé s’il y avait plus de continuités que de changements étant donné que les États-Unis ont à plusieurs reprises revu leur position à l’égard de l’OTAN. Au cours de la discussion, plusieurs intervenants ont souligné que nous devrions donner le bénéfice du doute à la nouvelle administration américaine (logique de campagne vs. politique réelle), à rebours de Stephen Saideman, qui a remis en question cette approche en soulignant les relations étroites du Président élu Trump avec les banques russes. Les participants ont demandé si des arrangements de partage du nucléaire pouvaient être envisagés au sein de l’OTAN. Waligóra a répondu qu’il s’agissait d’une possibilité, mais que le concept n’implique pas nécessairement l’hébergement des capacités nucléaires. Il pourrait plutôt se concrétiser sous la forme d’un soutien, tel que la fourniture d’avions capables de transporter les missiles nucléaires. Les participants ont également manifesté de l’intérêt pour l’Arctique, et sur la manière dont cette question était traitée au sein de l’OTAN. Les panélistes ont répondu qu’il est important de surveiller cette région compte tenu des lourds investissements de la Russie dans l’Arctique. Cependant, les panélistes doutaient qu’il puisse y avoir dans l’avenir prévisible un conflit interétatique dans l’Arctique en raison de son importance stratégique moindre. Les puissances occidentales devraient faire le monitoring dans la région tout en n’empêchant pas Moscou de commettre l’erreur d’investir de lourdes dépenses dans cette région difficile.
Propos recueillis par Borzillo Laurent et Dominika Kunertova,
Doctorants en Science Politique, Université de Montréal