Partager la publication "Le nationalisme au service de l’État: La politique des nationalités sous le Second Empire français"
Jusqu’en 1870, l’Europe est un champ de bataille où s’affrontent deux camps : les mouvements nationalistes-libéraux et les puissances légitimistes aristocratiques1 cherchant à protéger l’ordre conservateur de 1815. Si les partisans du nationalisme arrivent à frapper de grandes victoires en 1830 en France et en Grèce, les révolutions nationales de 1848 en Pologne, en Italie et en Allemagne s’avèrent être des échecs cuisants. Or, sur les ruines de ces revers, des politiciens conservateurs comme Otto Von Bismarck et Napoléon III réalisent l’utilité des mouvements nationalistes de masse. Le nationalisme devient instrumentalisé par les politiciens de Droite qui y voient un moyen d’accroître leur pouvoir tout en se donnant un droit d’intervention sur la scène internationale.
Cet article cherche à présenter les grandes lignes de la politique des nationalités du Second Empire français dirigé par Napoléon III. Il s’agit d’expliquer comment l’État français cherche à utiliser les divers mouvements nationalistes afin d’étendre l’influence française sur la scène internationale. L’article va conclure sur les divers outils de la politique des nationalités
La politique des nationalités : principaux concepts
La politique étrangère du Second Empire a essentiellement trois objectifs : briser l’ordre de 1815 qui isole la France, appuyer les nationalités et créer, à partir des divers États nationaux, un nouvel ordre européen où la France sera l’arbitre principal2. L’appui aux nationalités devient le pilier de l’interventionnisme français. En se posant comme le défenseur des nationalités, Napoléon III se dote d’un capital politique non négligeable auprès des mouvements nationaux européens. Pour l’Empereur, c’est à la France que revient le droit de diriger les principales transformations nationales de l’Europe : «Quand on a l’honneur et le bonheur tout à la fois d’être France, il faut comprendre toute la portée de cette position de faveur : et, de nation-soleil que l’on est, ne point se transformer en nation satellite. »3 Naturellement, l’appui aux nationalités doit se faire en faveur de la France. C’est pourquoi au lieu de favoriser des États-nations unitaires forts, la politique des nationalités encourage la création de fédérations ou de confédérations nationales. Incapables de s’unir efficacement, ces confédérations ne peuvent s’opposer à l’État français.
Le Second Empire dispose de nombreux outils diplomatiques et militaires pour favoriser ses projets internationaux. Le premier est l’utilisation de conflits localisés. Ces conflits donnent la chance au régime impérial d’exploiter les diverses crises européennes et d’étendre directement l’influence française sur une aire géographique précise. Il est cependant important de s’assurer que les conflits soient bien circonscrits et que les manœuvres militaires demeurent sous contrôle français. La campagne de 1859 pour l’unification italienne démontre bien les limites de cette politique. Après la victoire franco-piémontaise de Solferino contre les Autrichiens, tout le centre de l’Italie se soulève en faveur de l’unification. Or, ces soulèvements surprennent le gouvernement français qui décide de signer le plus rapidement possible un armistice avec l’Autriche à Villanfraca4, ce qui enrage et aliène l’appui des nationalistes italiens à Napoléon III5. La politique des nationalités doit encadrer le conflit en Italie en faveur de la France : « En portant la guerre en Italie, je [Napoléon III] n’ai certainement pas l’intention de réveiller les passions révolutionnaires, mais mon intérêt comme mon devoir m’obligent à me servir de toutes les insurrections partielles qui peuvent éclater. Vouloir circonscrire de plus en plus le champ de mes opérations c’est rendre la guerre presque impossible. »6 Les conflits placent le gouvernement français dans des dilemmes politiques impossibles.
Les deux autres outils de la politique des nationalités sont le personnel diplomatique du Quai d’Orsay7 et l’utilisation des congrès européens entre les grandes puissances.Le corps diplomatique du Second Empire demeure un corps professionnel soudé et formé de diplomates et de consuls compétents et prêts à conseiller Napoléon III dans ses décisions. À cette diplomatie officielle se joint une diplomatie secrète menée par Napoléon III qui lui permet d’avancer les dossiers à son rythme à travers des entrevues secrètes entre dirigeants. C’est le cas de l’entrevue de Plombières de 1858 ou l’Empereur des Français négocie avec le ministre du Piémont-Sardaigne, Cavour, sur les acquis territoriaux possibles de la France pour son aide apportée à l’unification italienne. Notez comment la politique de promotion du nationalisme disparaît au profit de considérations stratégiques pragmatiques : « Que quant à Nice, la question était différente, car les Niçards tenaient par leur origine, leur langue, et leurs habitudes plus au Piémont qu’à la France et que par conséquent leur accession à l’Empire serait contraire à ce même principe (le principe national) qu’on allait prendre les armes pour faire triompher. Là-dessus l’empereur caressa longuement ses moustaches, et se contenta d’ajouter que c’étaient là pour lui des questions tout à fait secondaires, dont on aurait le temps de s’occuper plus tard. »8Finalement, l’utilisation des congrès européens permet à Napoléon III d’avancer ses idées nationales sur la scène internationale.En profitant des différentes problématiques nationales qui secouent l’Europe, Napoléon III proposerait la tenue d’un grand congrès européen qui réglerait l’ensemble des questions nationales de l’Europe. Sa tentative de régler les problèmes nationaux européens pendant le Congrès de Paris de 18569 s’est soldée par un demi-échec puisque l’Empereur n’a pas réussi à régler la question italienne et polonaise10.
En conclusion, l’utilisation des nationalismes comme outil politique s’est avérée au final catastrophique pour le Second Empire. En touchant la question de l’unification allemande, Napoléon III a ouvert une boîte de Pandore qu’il ne pouvait contrôler. La guerre Franco-Prussienne de 1870-1871 s’est faite au nom de la nation allemande et contre une France officiellement protectrice des peuples.
Francis Abud,
(M.A.) Histoire, Université McGill
Bibliographie
1. Archives
Archives Colonna Walewski ACW : FACW/1/ACW/COR Les correspondances avec Napoléon III
2. Monographies.
Anceau, Éric. Comprendre le Second Empire, Paris, Éditions Saint-Sulpice, 1999, 191 pages.
Bourgerie, Raymond. Magenta et Solferino (1859) : Napoléon III et le rêve italien, Paris, Édition Économica, 1993, 144 pages.
Bluche, Frédéric. Le Bonapartisme. Aux origines de la droite autoritaire (1800-1850), Paris, Nouvelles éditions latines, 1980, 366 pages.
Bluche, Frédéric,Le prince, le peuple et le droit : autour des plébiscites de 1851 et 1852 sous la direction de Frédéric Bluche,Paris, Presses universitaires de France, 2000, 318 pages.
Choisel, Francis. Bonapartisme et Gaullisme, Paris, Édition Albatros, 1987, 379 pages.
Conilleau, Roland. L’entrevue de Plombières, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1991, 173 pages.
Echard, William. Napoleon III and the Concert of Europe, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1983, 327 pages.
Actes du colloque de la Fondation Napoléon 19-20 mai 2008. Napoléon III, l’homme, le politique sous la direction de Pierre Milza, Paris, Éditions Napoléon III, 2008, 492 pages.
1. Nous entendons ici les puissancesqui ont combattu la France révolutionnaire et napoléonienne tels que la Russie, la Prusse et l’Autriche.
2 Alain Gouttman, « La politique étrangère de Napoléon III entre idéalisme et naïveté » in Actes du colloque de la Fondation Napoléon 19-20 mai 2008. Napoléon III, l’homme, le politique sous la direction de Pierre Milza, Paris, Éditions Napoléon III, 2008, p. 389.
3. Frédéric Bluche, Le prince, le peuple et le droit…, op, cit p.219.
4. La France avait décidéd’aider le Royaume du Piémont-Sardaigne a bouté hors de l’Italie du Nord les armées autrichiennes qui occupaient la Lombardie et la Vénétie. Les deux victoires franco-sardes à Magenta et Solferino forcent les Autrichiens à évacués la Lombardie. Cependant, la bataille de Solferino est coûteuse pour la France, des problèmes sanitaires affligent l’armée française alors que les Autrichiens se sont repliés derrière la forteresse de Mantoue. Devant de telles difficultés, Napoléon III, sans consulter son allié Piémontais, négocie une paix avec l’Autriche.
5. Raymond Bourgerie. Magenta et Solferino (1859) : Napoléon III et le rêve italien, Paris, Édition Économica, 1993, p. 115.
6. Archives Colonna Walewski, ACW/COR/EMP/95 Napoléon III à Walewski, Alexandrie, 22 mai 1859.
7. Le Quai d’Orsay est le nom donné au Ministère des affaires extérieures de France.
8`. Roland Conillea. L’entrevue de Plombières, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1991, p. 87.
9. Le Congrès de Paris de 1856 a eu lieu après la victoire franco-britannique pendant la Guerre de Crimée. La défaite russe force les puissances européennes à discuter d’un traité de paix. C’est pendant ces négociations que Napoléon III cherche à régler les diverses questions nationales européennes.
10 Voir à ce sujet William Echard. Napoleon III and the Concert of Europe, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1983, 327 pages.