En rafale

Le dilemme ukrainien: soft power de l’Europe ou les limites de sa puissance

Depuis le mois de novembre dernier, des milliers d’Ukrainiens occupaient places, villes et bâtiments publics, en chantant l’Europe, drapeau à la main, et en scandant la corruption du régime Ianoukovitch et sa russophilie.

Pendant que McCain se déplaçait sur l’estrade de Maidan en tentant de rassurer ce peuple en crise, pendant que Poutine tentait de manipuler adroitement la crise à son avantage, que faisait l’Union européenne ? Alors que l’Europe est décriée partout à l’intérieur de ses frontières ; que ses citoyens l’accusent d’être la cause de tous leurs maux, les Ukrainiens voient en l’UE la promesse d’un avenir meilleur, démocratique et libre. Devant cette admiration, Bruxelles n’a pourtant pas agi, en tout cas, pas comme les Ukrainiens l’espéraient. L’UE a encore laissé Washington prendre le leadership d’une crise européenne, comme cela avait été le cas en Bosnie ou au Kosovo. 25 ans après la chute de l’URSS, l’UE n’est toujours pas capable de résonner dans la diplomatie internationale, et encore moins dans la diplomatie régionale.
Quelle déception !

Bien que Paris condamne, le quai d’Orsay et l’Élysée semblent davantage happés par l’Afrique que l’Est de l’Europe. Reste Berlin qui joue la médiation entre Washington et Moscou… mais Berlin n’est pas Bruxelles, et l’Allemagne n’est pas l’Europe. Pourtant, la crise ukrainienne aura montré que l’Europe disposait d’un solide soft power puisqu’elle semble inexorablement attirer vers elle des millions d’êtres humains. Ces milliers de drapeaux que les manifestants ukrainiens portaient fièrement avec eux, étaient les couleurs de l’Europe et non celles des États-Unis. Ce que réclame ce peuple, c’est son entrée dans l’UE, et pas nécessairement dans l’OTAN. Il est donc clair que l’Europe attire en Ukraine, en tout cas plus que les États-Unis.

Mais si l’UE ne prend pas le leadership de la crise qui oppose l’Ukraine à la Russie, elle pourrait bien voir son soft power se réduire comme peau de chagrin. Comment expliquer que la première économie mondiale et la troisième puissance démographique avec ses 500 millions d’habitants n’arrive pas à s’affirmer face à un pays émergent, la Russie ? Après la Bosnie, le Kosovo, la Géorgie, la Syrie, voici l’Ukraine qui semble anéantir la construction, déjà difficile, d’une diplomatie européenne commune. Où est Catherine Ashton quand Berlin négocie ? Où est Bruxelles quand Moscou menace ? Que fait l’UE quand la Crimée est occupée ?

Si l’Europe dispose d’un soft power reconnu, c’est en partie parce qu’elle n’a jamais agressé ses voisins. Le recours systématique à la négociation et le refus d’employer la force brute sont les raisons principales de la reconnaissance de l’Europe comme un partenaire plus stable et impartial que la Russie ou les États-Unis. Toutefois, c’est dans cette équation que réside sa faiblesse. L’UE pourra-t-elle encore longtemps assurer sa capacité d’attraction sans s’affirmer face à des puissances, qu’on qualifie trop souvent à tort qu’à raison, d’un autre âge ? La Russie de Poutine continue d’agir dans la logique du XIXe siècle, pensant en zones d’influences, en puissance brute, en espace vital !

Profondément ancrée dans la modernité du XXIe siècle, Bruxelles pense davantage en matière de coopération que de compétition. Cette asymétrie sémantique de la puissance donne clairement l’avantage à Moscou. Dans un conflit, de quelque nature qu’il soit, la logique la plus autoritaire a plus de chance de l’emporter, car elle n’est limitée dans son expression que par la volonté du chef, Poutine.

En Europe, les rouages démocratiques limitent considérablement le recours à la violence. Conséquemment, pendant que Moscou agit et avance ses armées, l’Europe constate à rebours le temps qu’elle perd dans la gestion d’une crise qu’elle ne maîtrise pas. Bruxelles est en réaction constante face à Moscou qui dirige le jeu de façon totalement décomplexée. Alors qu’il aura suffi de quelques jours à l’armée russe pour occuper la Crimée, l’Europe aura été incapable de trouver sa place en plus de trois mois de crise. Pour L’UE, ne rien faire, revient à abandonner des millions d’Ukrainiens qui ont fait la Révolution en son nom. C’est prendre le risque d’effriter son image et d’affaiblir son soft power. Agir, c’est prendre le risque de briser le dialogue avec Moscou, son premier fournisseur en gaz et en pétrole, tout en défendant son image de puissance démocratique.

Entre les idéaux et les intérêts, il fait peu de doutes que Bruxelles préfèrera maintenir ses relations économiques avec Moscou et laissera à ses États membres le soin de résoudre par eux-mêmes la crise ukrainienne, quitte à faire appel à Washington. La crise ukrainienne, à défaut d’être achevée, aura prouvé, une énième fois que l’Europe puissance n’existe pas et qu’elle n’existera probablement jamais.

Par Guillaume A. Callonico

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