En rafale

Diviser pour mieux régner. L’Empire Mexicain et l’intervention française au Mexique de 1861.

Pour les pays d’Amérique latine, le XIXe siècle est marqué par un interventionnisme européen et nord-américain constant sur leur territoire (gunboat diplomacy). Le cas du Mexique, aussi qualifié d’homme malade de l’Amérique par l’Europe, est intéressant à étudier sous cet angle. En effet, l’instabilité politique constante qui a marqué l’histoire mexicaine depuis son indépendance transforme l’État mexicain en proie facile pour les appétits des puissances européennes. À nouveau, l’étude de l’histoire des relations internationales nous permet de mettre en perspective les diverses méthodes utilisées par les puissances impérialistes pour imposer leurs volontés politiques. C’est pourquoi nous proposons de présenter les origines et les buts politiques de l’expédition française au Mexique de 1861. Se déroulant pendant la Guerre civile américaine (1861-1865), le Second Empire français, dirigé par Napoléon III, profita du conflit aux États-Unis pour installer un régime satellite au Mexique susceptible de promouvoir les intérêts français en Amérique latine. L’analyse des actions et du discours impérialiste se situera sur deux points : le besoin des grandes puissances de favoriser la création d’un équilibre politique favorable à leurs intérêts et le besoin de légitimer une intervention au nom d’un projet politique jugé positif pour la population locale.

 

Depuis l’acquisition de son indépendance en 1821, le Mexique est la proie de violentes guerres civiles et d’une constante instabilité gouvernementale. Le dernier de ces conflits fratricides, la Guerra de Reforma, se termine par la victoire du républicain libéral Benito Juarez sur le conservateur Miguel Miramon en 1861[1]. Les problèmes avec les pays européens surviennent lorsque le nouveau gouvernement mexicain refuse de payer les dettes dues aux puissances européennes soit la France, l’Angleterre et l’Espagne. Très rapidement, une expédition est créée et les trois puissances européennes interviennent militairement en occupant Veracruz. Cependant, la situation se détériore lorsque la France décide d’occuper la ville de Puebla et de mettre fin au régime de Juarez. Pourquoi Napoléon III a-t-il décidé d’aller contre l’avis de ses alliés? L’Empereur des Français cherche à stabiliser une région amenée à être cruciale pour le développement économique de la France. Le Mexique possède d’importantes mines d’argent (dans la région du Sonora) qui sont essentielles à une France alors en pleine révolution industrielle. Les ressources minérales mexicaines devront servir à  financier les transformations industrielles du pays tout en empêchant la France de tomber dans une dépendance métallique envers les autres puissances[2]. Au-delà des aspects économiques, l’intervention au Mexique s’inscrit dans une tentative française de revoir la carte géopolitique américaine sous le projet de la grande pensée du règne de Napoléon III. Craignant la montée en puissance des États-Unis, Napoléon III est convaincu qu’il faut « arrêter l’expansion de la race anglo-saxonne, du protestantisme et de la forme républicaine.»[3] Napoléon III, comme de nombreux Français, considère que la Confédération sudiste devrait être une entité politique autonome du reste de l’Union américaine. Le conflit américain est ainsi vu, par Paris, comme un combat pour l’indépendance nationale du Sud[4]. Dans les plans originaux de la grande pensée du règne, les États américains du Nord et ceux de la Confédération sudiste reconnaitraient leur indépendance commune. L’Ouest américain deviendra un État indépendant et le Mexique, État-satellite de la France, n’aurait plus à craindre des interventions américaines sur son territoire[5]. La France se retrouverait aux commandes d’un nouveau système politique en Amérique assurant sa primauté sur des entités politiques trop faibles pour contester l’influence européenne dans la région. La doctrine Monroe serait ainsi rendue caduque et l’influence française serait un contrepoids contre l’influence anglo-saxonne.

 

La prise de Puebla en 1863 permet à l’armée française de contrôler la capitale du pays, Mexico. De cette victoire vient la question de légitimer une intervention française. Pour Napoléon III, il s’agit de placer sur le trône du Mexique Maximilien de Habsbourg. Afin de légitimer son installation au pouvoir, la France va créer de toutes pièces un vote national mexicain.  C’est ici que la création d’une «nation» mexicaine est mise en branle par le gouvernement français. Le nouveau gouvernement mexicain doit réunir « dans un faisceau toutes les forces vives de la nation en vue de l’avenir auxquelles elles doivent travailler en commun sous la direction [d’un] souverain » incarnant le ralliement national[6]. Mais alors, comment faire voter la population mexicaine et s’assurer qu’elle appuie le régime monarchique de Maximilien. Contrairement à la France, il n’y a pas de listes civiles précises pour les votes et les populations indiennes sont, aux yeux du personnel diplomatique français trop ignorants et inférieurs pour avoir le droit de vote. La notion de suffrage universel sera limitée à un électorat susceptible d’avoir des orientations promonarchiques. Il est alors décidé d’employer les institutions politiques légitimes aux yeux du peuple mexicain. Dans le cas du Mexique, l’institution politique légitime est l’Assemblée des notables de la capitale. Après un vote de tous les notables de la ville, le gouvernement français sanctionne le vote stipulant qu’il est le reflet de la nation mexicaine[7]. Maximilien peut quitter l’Europe et prendre contrôle du Mexique sous protection française. Bien sûr, le pouvoir de Maximilien repose sur la force militaire française et ce dernier se voit forcé d’accepter des clauses militaires et économiques favorisant la France et non les Mexicains. Cette incapacité de plaire aux Français et aux Mexicains sera par ailleurs à la base de la chute du régime  impérial au Mexique.

 

Pour conclure, que devons-nous retenir de l’intervention française au Mexique en 1861 et en quoi est-elle utile pour comprendre l’interventionnisme européen au XIXe siècle? Premièrement, qu’il est facile pour une grande puissance d’intervenir dans toutes les régions du monde puisqu’elle dispose de moyens militaires suffisants. Ensuite, légitimer l’intervention auprès des populations locales est un défi important. Finalement, que les grandes puissances cherchent constamment à diviser et morceler les États d’une région afin de les rendre plus malléables à leurs volontés.

 

Par Francis Abud, historien spécialiste du IIe empire français.

 

 

 

[1] Lynn M. Case, Édouard Thouvenel et la diplomatie du Second Empire, Paris, Édition A. Pedone, 1976, p. 367.

[2]. Shirley J, Black, Napoleon III and Mexican Silver, Silverton, Ferrell Publications, 2000, page 20.

[3]. Jean-François Lecaillon. Napoléon III et le Mexique. Les illusions d’un grand dessein, Paris, Éditions l’Harmattan, 1994, p. 46.

[4]. AMAE, PA Desprez, vol 19, 10, f. 80.

[5]. Kathryn Abbey Hanna, « The Roles of the South in the French Intervention in Mexico », The Journal of Southern History, Vol. 20, No. 1, 1954, p. 10.

[6]. E Masseras. Le programme de l’Empire, Mexico, Libreria Mexicana, 1864, p. 13.

[7]. Jean-François Lecaillon, op, cit, p. 93.

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