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L’Union européenne face aux menaces, aveuglement ou impossible coordination ?

Les européens ont toutes les raisons de se sentir menacés. La majorité des “points chauds” du monde entourent l’Europe : la Russie, l’Europe de l’Est, l’Asie centrale, le Moyen Orient et l’Afrique du Nord. Loin de donner priorité à la défense, cette menace s’accompagne d’une réduction des dépenses militaires dans la majorité des États membres. Simultanément, les États-Unis, plus important contributeur financier de l’OTAN, s’orientent vers la région Asie-Pacifique et ont ouvertement encouragé l’Union européenne à renforcer son rôle de garant de la sécurité collective dans le monde.

Anders Fogh Rasmussen, alors Secrétaire général de l’OTAN, évoquant la crise ukrainienne, a souligné que “nous sommes clairement face à la plus grave menace pour la sécurité européenne depuis la fin de la Guerre froide”. Le chaos est revenu sur le territoire européen, menaçant la stabilité du continent. Cependant, l’affaire ukrainienne est loin d’être la seule menace à la sécurité européenne.

Les jours où la politique de sécurité se limitait à protéger la souveraineté et l’intégrité territoriale en évitant des menaces militaires provenant d’autres États sont révolus. La politique de sécurité et de défense a dû s’adapter au nouveau contexte mondial et à son évolution constante, et intégrer de nouvelles menaces environnementales, les cyber-attaques, le terrorisme islamiste, les crises économiques et l’instabilité politique ou sociale. Ces nouvelles menaces ne peuvent être confrontées que collectivement.

LEurope: dépenses de défense en baisse

Les contributions des États-Unis au budget de l’OTAN sont passées de 63% en 2001 à 75% en 2015. L’OTAN recommande à ses membres de dépenser 2% du PIB en défense, ce qui est loin d’être accompli par la grande majorité des pays européens. Les dépenses de défense en Europe étaient déjà en baisse avant la crise économique en 2008, laquelle a renforcé cette tendance.

Suite à l’annexion de la Crimée par la Russie, les membres de l’OTAN, réunis au sommet de Newport, ont publié la Déclaration du sommet du Pays de Galles sur le lien transatlantique qui identifie la crise ukrainienne comme un “changeur de jeu” pour la sécurité européenne, tout en réaffirmant leur intention de renforcer la défense collective.

Néanmoins, cela ne se reflète pas dans les rapports préliminaires des budgets consacrés à la défense en 2015. Sur les quatorze pays étudiés, seule l’Estonie consacrera 2% du PIB à la défense. Six pays augmenteront leurs dépenses militaires sans atteindre le taux de 2% (la Lettonie, la Lituanie, la Norvège, la Pologne, les Pays-Bas et la Roumanie). Six pays réduiront leurs dépenses de défense (la Royaume-Uni, l’Allemagne, le Canada, l’Italie, la Hongrie et la Bulgarie). La France maintiendra le budget 2015 stable par rapport à 2014. En résumé, quelques pays membres augmentent le budget de défense, certains font comme d’habitude et d’autre font le contraire à ce convenu lors du sommet de Newport.

L’inquiétude à propos de la réduction des dépenses militaires en Europe est d’autant plus grave qu’elle doit être mise en perspective avec les investissements militaires croissants en Asie et en Russie. En 2011, la Russie a dépassé la Royaume-Uni et la France, pour la première fois depuis la guerre froide. En 2012, les pays asiatiques ont investit plus dans leur militaire que les européens, pour la première fois depuis des siècles.

L’OTAN

L’OTAN est une alliance de défense collective et le garant de sécurité le plus important de la sécurité de ses membres. L’Alliance atlantique est fondée sur un principe de réciprocité où la menace contre un membre équivaut à une menace contre tous ses membres. Cependant, comme déjà évoqué, les contributions des États-Unis au budget de l’OTAN surpassent largement celles des pays européens. Ce déséquilibre n’est pas durable sur le long-terme et il est nécessaire de revoir les dépenses entre les membres.

Les États-Unis semblent en effet fatigués de cette relation asymétrique, et ont encouragé l’Union à investir davantage. Simultanément, les États-Unis s’orientent plus vers la région Asie-Pacifique, même si Poutine a recentré l’attention de l’OTAN sur l’Europe et sa mission initiale de protéger le continent contre la Russie. N’empêche, peut-être que les États-Unis devraient continuer à s’éloigner de l’Europe pour qu’ils prennent plus au sérieux sa propre sécurité.

Vers une armée européenne ?

Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a évoqué l’idée d’une armée européenne le 8 mars 2015, en expliquant qu’une “armée commune ferait comprendre à la Russie que nous sommes sérieux quand il s’agit de défendre les valeurs de l’Union” et que une telle armée renforcerait la politique étrangère et la sécurité commune de l’UE.

Le Traité de Lisbonne affirme en effet l’intention de renforcer la coopération en matière de défense, puisqu’il évoque une « définition progressive d’une politique commune qui conduira à une défense commune » (article 42.2), toutefois soumise à un vote à l’unanimité au Conseil de l’UE. Par contre, les Etats membres sont divisés quand à une intégration plus poussée en matière de défense. En particulier, l’Angleterre s’oppose farouchement à l’idée alors que l’Allemagne la soutient. Ces visions différentes risquent de bloquer tout  effort d’avancer en la matière.

On peut d’ailleurs relever que l’identité de l’UE se fonde davantage sur le “soft power” de l’attractivité de ses valeurs humanistes, que sur le “hard power” de la force militaire traditionnelle. L’UE est réticente quand au développement des capacités militaires, pour peur de trop faire pencher l’équilibre du “soft” au “hard power”, ce qui pourrait potentiellement remettre en cause son identité et raison d’être.

Repenser la défense traditionnelle

Les pays européens ont des lacunes capacitaires (ex: munitions à guidage de précision, la cyber défense, la défense antimissile balistique, ainsi que le renseignement, la surveillance et la reconnaissance interarmées) d’équipements au prix si élevé que chaque pays ne pourra pas en avoir en quantité suffisante. Dès lors, l’apparition du concept de la “défense intelligente” de l’OTAN, qui répond au besoin de réduire les coûts dans un temps d’austérité, en misant sur le partage et la coordination des capacités et en évitant la duplication, trouve toute sa pertinence. Pareillement, l’UE a lancé une initiative sur la “mutualisation et le partage” des ressources.

La défense intelligente de l’OTAN ne se focalise que sur la dimension militaire alors que l’approche de mutualisation de l’UE est plus complète et inclut un cadre légal, politique, civil ainsi que la formation et l’expertise. Ces deux initiatives pourraient se compléter en créant des synergies et en évitant la duplication, mais elles ne sont toujours pas vraiment mise en pratique.

Le principal défi de la mutualisation de la défense demeure la perception que celle-ci porte atteinte à la souveraineté et crée de la dépendance. Cependant, on peut se poser la question de ce que vaut la souveraineté si presque aucun pays européen serait capable de se défendre individuellement dans une situation de crise.

Le Conseil européen de juin 2015, consacré à la défense, permettra-t-il d’avancer pour renforcer la défense collective de l’Europe ?

 

Par Katharina Qvale
Membre des Cabris de l’Europe

http://blog.slate.fr/europe-27etc/17341/l%E2%80%99union-europeenne-face-aux-menaces-aveuglement-ou-impossible-coordination/

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