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Le Russe, un expansionniste dont il faut se méfier?

À la lumière des événements russo-ukrainiens, nous devons revenir dans le passé russe, qu’il soit tsariste ou soviétique, pour comprendre à la fois la vieille méfiance suscitée en Europe par la politique étrangère élaborée au Kremlin (ou à Saint-Pétersbourg) et la réelle tradition expansionniste et colonisatrice de l’État russe.

Nous avons tendance à oublier que la Russie fut aussi une puissance coloniale. Notre mémoire collective et nos minces connaissances historiques attribuent ce titre à la France, l’Angleterre, l’Espagne, bref, à l’Europe de l’Ouest qui fit le suprême effort de s’étendre outre-mer. C’est aussi le cas pour la Russie. Certes, l’expansion russe est surtout continentale, vers l’Europe, en Asie et en Asie centrale. Mais le Russe est aussi allé outre-mer, il possédait l’Alaska jusqu’en 1867 et il construisait des comptoirs fortifiés à 50 km de la ville de San Francisco…

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La conquête de la Sibérie de Yermak, par Vasily Surikov

Les débuts de l’expansion : XVIe et début XVIIIe siècles.(voir la carte)

La Russie européenne, qu’on peut aussi appeler la Moscovie, débuta son expansion en s’appropriant aux XVIe-XVIIe siècles des territoires à l’Est des Monts Oural, ce qui constitue la Sibérie. Voir la carte : D’Ivan le Terrible à Pierre le Grand, les Russes marchèrent ce territoire de l’Oural au détroit de Behring (1648) et au Kamtchatka (1679). Notons, au passage, une première poussée russe à la frontière chinoise du fleuve l’Amour, entre 1644 et 1689, objet d’un conflit avec la Chine (jusqu’en 1969). Lors de cette poussée, l’ile Sakhaline devint « russe » (1689).

Sous Pierre le Grand (1672-1725), les guerres contre la Suède et les Ottomans (Turcs) montraient la réelle volonté du Tsar d’avoir un accès à une mer ouverte (qui ne gelait pas l’hiver), ici la Baltique, en prenant possession d’une bonne part des terres entourant le Golfe de Finlande et, au sud, en investissant Azov (1696), donnant accès à la Mer Noire. À partir de Catherine II, régnant de 1762 à 1796, les Russes investirent le Caucase (Géorgie, Daghestan, Azerbaïdjan, etc.), le Turkestan et le Kazakhstan, conquête régionale difficile allant de 1725 à 1914. Bien sûr, le gouvernement russe dût détruire des révoltes importantes au Caucase, celle de Chamil (1830-1860) et effacer la présence tatare, d’Ukraine au Turkestan, en les assimilant. Les Tatars étaient surtout des intermédiaires commerciaux gênants entre la Russie et la Chine. Avant 1773, les Russes procédaient à la russification des territoires conquis, colonisant et détruisant, par exemple, les mosquées (on chiffre à 80% les mosquées détruites). Sous l’impulsion des Lumières, la Tsarine Catherine octroya une liberté religieuse aux musulmans d’Asie Centrale.

L’expansion en Europe de la fin du XVIIIe siècle au XXe siècle.

Mais revenons à l’Europe. Là aussi les Russes ont des visées. Outre les États baltes, pris aux Suédois, Catherine II négocia l’odieux partage de la Pologne avec le royaume de Prusse et l’Empire d’Autriche, effaçant l’État polonais ( trois partages négociés, sans les Polonais, entre 1772, 1793 et 1795). Lors de ce partage, Catherine II récupéra une bonne partie de l’Ukraine. En 1815, après le Congrès de Vienne, c’est la Pologne tout entière qui fut annexée à la Russie jusqu’en 1919. Bref, l’expansion est continue et se poursuivra au XXe siècle surtout entre 1945 et 1948 par la satellisation de l’Europe de l’Est. Ce caractère expansionniste russe est tellement marquant qu’il constitue un gage de succès pour les différents gouvernements russes. La fin des conquêtes pouvait signifier une crise du régime (tsariste, soviétique voir, celui de Poutine)? Ainsi, il devenait nécessaire pour un leader russe d’avoir une volonté expansionniste ou de préserver les acquis territoriaux. Il est impossible de tenir le Kremlin sans de tels succès. Notez, par exemple, le mépris du peuple russe à l’égard de Nicolas II perdant la guerre contre le Japon en 1905 et comment on l’a rendu responsable de la débâcle russe des années 1914-1917. Que dire de Gorbatchev, qu’on a accusé d’avoir affaibli l’URSS ?

« Russifier » l’empire, des Tsars à l’URSS.

Au XIXe siècle, on assiste à un retour de la politique de russification. Même en Europe. Les Russes instaurèrent sur les territoires conquis le principe de diviser pour mieux régner (comme les autres Européens par ailleurs, en Afrique, aux Indes,etc.) Il fallait éviter les Fronts communs chrétiens contre l’Église orthodoxe russe. Pour cela, on fusionna les chrétiens uniates d’Ukraine (proche de Rome) à l’Église orthodoxe russe empêchant ainsi une alliance avec les catholiques de Pologne. Au Caucase et au Turkestan, les colons russes s’appuyaient sur une « secte » musulmane plutôt qu’une autre, pour éviter le front commun musulman antirusse.

L’arrivée des Bolcheviques au pouvoir, après Octobre 1917, n’y changea rien. Lénine (dirigeant de 1917 à 1924) souhaitait élaborer une politique des nations, celles conquises par les Russes, qui formaient alors 44% de la population de l’immense empire. Lénine avait un discours autonomiste pour les Nations, c’était même une promesse. Or, il leur proposa d’abord l’indépendance avec ententes bilatérales, puis le fédéralisme et enfin, l’Union, aboutissant à la fondation de l’URSS. Après la Seconde Guerre mondiale, Staline (dirigeant de 1929 à 1953) mit la main sur l’ensemble de l’Europe de l’Est. Sous prétexte d’avoir une zone d’influence défensive face à une future menace allemande, il avala l’ensemble de ces États et les enferma dans des organismes prosoviétiques tels le Kominform. Ses successeurs firent de même via une alliance militaire, le Pacte de Varsovie. L’Europe de l’Est devenait un nouveau territoire de l’Empire russo-soviétique, comme allaient le prouver les sévères répressions contre les soulèvements de Budapest (1956) et Prague (1968).

D’ailleurs, après la chute du Bloc communiste et de l’URSS (1989-1991), l’ensemble des ces États conquis depuis le XVIIIe siècle et fusionnés de force après 1945 obtinrent leur indépendance. Les États d’Europe de l’Est, très méfiants à l’égard des Russes et craignant un redressement de la Russie et avec lui, une volonté expansionniste, demandèrent d’adhérer à l’OTAN. Si, au début, on refusa ces demandes (pour éviter l’humiliation des Russes, chose dont furent attentives les administrations Bush Père et Clinton), l’OTAN accepta ces États entre 2004 et 2009. Parions que les politiques de redressement de Wladimir Poutine y sont pour quelque chose! Nous pouvons mettre dans cette continuité historique l’annexion de la Crimée (mars 2014) et l’éventuelle création d’un Novarossia. Poutine s’installe donc dans la vieille tradition expansionnsite russe. Son discours d’août 2014, faisant référence au vieux mythe de l’endiguement de la Russie dès le XVIIIe siècle, montre que le maître du Kremlin, refusera tous freins à cette expansion. Voilà pourquoi l’OTAN attire tant l’Est de l’Europe.

 

Marc Bordeleau

Professeur d’histoire.

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