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la Chine en 2014 : une puissance révisionniste. Entrevue

Entrevue avec Maï Murray, étudiante à la maîtrise en relations internationales au département de Science politique de l’Université de Montréal et spécialisée sur les conflits en Asie du Sud-Est.

 

Selon vous, pourquoi la Chine désire-t-elle occuper le territoire de la mer de Chine méridionale. Quels sont précisément ses intérêts?

En général, comme vous avez sûrement pu le lire, il y a d’abord tout ce qui a trait aux ressources naturelles, donc le pétrole, le gaz naturel et le poisson. Il y a beaucoup d’études qui divergent, certaines disent qu’il y a beaucoup de ressources naturelles, d’autre disent qu’il y en a peu, mais même si la quantité de ressources naturelles reste nébuleuse, c’est un enjeu très important parce qu’il y a le potentiel d’avoir beaucoup de ressources. Ensuite, c’est la deuxième route maritime la plus utilisée dans le monde. Elle relie le pacifique à l’océan indien, ce qui est très important d’un point de vue géostratégique. La question est de savoir qui va contrôler cette route ou si elle restera libre de navigation internationale.

Qui désire avoir le contrôle de cette route?

Je crois que tous les pays veulent utiliser cette route. C’est une route de transit internationale importante qui passe par le détroit de Malacca.

Quels avantages la Chine aurait-elle si elle contrôlait ce passage? Pourrait-elle taxer les bateaux qui passent par la mer de Chine?

Elle pourrait décider qui emprunterait cette route ou non. Et oui, elle pourrait taxer les navires, et ça pourrait être très désavantageux pour des pays comme le Vietnam, car une de leurs seules sources d’approvisionnement passe par cette route. Donc ça donnerait beaucoup de pouvoir à la Chine de justement pouvoir bloquer n’importe quand l’approvisionnement des autres pays. Plus de la moitié du tonnage annuel de pétrole brut passe par cette route, c’est donc une voie maritime très importante en terme de sécurité énergétique. Voilà pourquoi la mer de chine est importante pour tous les acteurs, les États-Unis compris. Ces derniers veulent garder cette voie libre à la navigation internationale.

Vous avez dit que la mer de Chine était importante pour la Chine à cause des ressources énergétiques, en ce moment, de quel pays la Chine dépend-elle principalement pour s’approvisionner en ressources naturelles? Est-elle autosuffisante?

Non, elle n’est pas autosuffisante, ce qui est un grand problème, car depuis quelques années au lieu d’être un exportateur de ressources elle est devenue un des plus grands importateurs. Tout ce qui a trait à la sécurité énergétique est vraiment important pour elle, c’est pour cela qu’elle diversifie ses sources d’approvisionnement. Elle est présente en Afrique et en Amérique du Sud, elle a également signé beaucoup d’ententes avec les pays «stan» (Asie central) : ils ont d’ailleurs mis sur pied l’OCS (organisation de coopération de Shangaï) pour avoir un accès diplomatique plus étroit à ce région. Les ressources sont très importantes pour la Chine, car sa population augmente et elle doit continuer d’alimenter l’économie. C’est vraiment rendu une société de consommation, alors ils auront besoin de plus en plus de ressources, il est donc important pour eux de garder la mer de Chine comme une option d’approvisionnement. La Chine fait toutefois très attention à ce que ce ne soit pas la seule route qui puisse l’approvisionner.

On voit que la Chine est vraiment une puissance en expansion, quels seraient ses objectifs à long terme?

En ce moment, c’est d’être la puissance régionale.

Mais n’est-elle pas déjà la puissance régionale?

En ce moment, puisque les États-Unis sont encore très présents en Asie, on ne pourrait pas dire que la Chine soit la puissance régionale. Même si la Chine est quand même la première économie mondiale, elle se voit elle-même comme un pays toujours en développement. Elle ne se voit pas comme une puissance, peut-être parce qu’elle ne veut pas trop attirer l’attention. Alors je dirais qu’à long terme, elle veut redevenir la puissance régionale qu’elle était autrefois. Pour l’instant elle ne désire être que la puissance régionale, elle n’a jamais fait état d’une intention d’être l’hégémon mondial. Elle essaie aussi de beaucoup respecter ses intérêts vitaux comme le maintien de son intégrité territoriale, assurer le développement économique et garder la stabilité du système. Garder l’intégrité territoriale est très important pour la Chine et elle a toujours pensé que les régions de la mer de Chine lui appartenaient.

Mais la politique étrangère chinoise est très opaque, elle n’est pas transparente. Comment distinguez la réalité du discours ?

Les Chinois continuent, en fait, d’utiliser la stratégie de Deng Xiaoping: cacher leurs intentions [et construire la puissance nationale]. La Chine, d’habitude, ne va pas aller revendiquer des territoires qui n’étaient pas à elle avant, mais elle va vouloir garder tout ce qui lui appartenait historiquement. Ses revendications sont basées sur des arguments historiques.

A-t-elle d’autres arguments à part l’histoire pour justifier ses revendications?

Par rapport au droit international, dans le cas de conflit territoriaux comme celui des îles Paracels, il y a deux arguments qui peuvent faire pencher la balance pour un pays ou pour un autre. Le premier est par rapport au plateau continental, l’autre serait par rapport à l’occupation physique effective sur les îles. Depuis combien de temps un pays est-il présent sur les îles? Avant les années 70, la Chine n’était pas présente sur les îles Paracels de manière constante. Les Chinois ont éjecté le Vietnam de certaines îles et depuis les années 1970, ils les occupent constamment, justement pour pouvoir utiliser cet argument en cas de conflits territoriaux.

Quel est l’intérêt stratégique des îles Paracels pour la Chine?

Encore une fois, les ressources naturelles et le pétrole. Dans le fond, ce ne sont pas les îles qui sont importantes, c’est plutôt la région maritime autour. Il n’y a rien sur ces îles. Il n’y a pas d’eau potable. Il pourrait y avoir du tourisme, je crois qu’il y a des aéroports sur les îles Paracels, mais le tourisme n’est pas un gros enjeu. De plus, il n’y aura jamais de grosses villes sur ces îles. Le plus important, c’est les voies maritimes qui entourent les îles.

On sait que la Chine a des visées sur les territoires en mer de Chine, mais quelles sont les contraintes qui l’empêchent de prendre possession des dits territoires?

D’abord, même si la Chine est une grande puissance économique, du côté militaire (même si elle investit beaucoup d’argent depuis plusieurs années) elle est quand même très loin de la puissance américaine. Et puis elle n’a pas encore de capacités de projection militaire. La marine américaine est tellement forte qu’elle pourrait écraser un conflit militaire asiatique. C’est d’ailleurs pour cela que la Chine a entrepris plein de réformes au sein de son armée, et qu’elle vise la professionnalisation en investissant beaucoup d’argent dans sa marine.

Ensuite, il y a les contraintes internes, et de ce qu’on sait, ce n’est pas très coordonné à l’interne. Puisque la marine est plus professionnalisée, elle prend des décisions sans discuter avec le haut commandement et le Parti. Puisqu’il y a une décentralisation du pouvoir, les provinces ont plus tendance à prendre des décisions seules en fonction de leurs contextes. Donc, je pense qu’avant de faire une grande action dans la mer de Chine, il faut établir une politique commune. Il faut aussi regarder les coûts-bénéfices. Si elle fait une grande action, ça va être très coûteux et son militaire n’est pas encore au point. Elle aurait tous les pays voisins à dos, qui eux courraient dans les bras des États-Unis. Ils subiraient une sorte d’«encerclement». La Chine n’est pas prête à contrer ça.

Vous disiez qu’il était peu probable que la Chine rentre dans un conflit avec les pays voisins pour les territoires de la mer de Chine parce qu’elle ne veut pas se mettre les pays voisins à dos…

À moins qu’il y ait un élément déclencheur important…

Quel serait cet élément déclencheur?

C’est intéressant parce que le gouvernement de Hu Jintao (2003-2013) avait mis de l’avant la politique de l’émergence pacifique de la Chine tandis que Deng Xiaoping mettait de l’avant le développement économique en 1978. Donc, tout était mis de côté même les conflits territoriaux, parce qu’ils voulaient se concentrer sur le développement économique. Également, puisque la Chine est plus forte, cette politique permettait de diminuer l’inquiétude des voisins. Voilà pourquoi ils ont mis en place le principe de l’émergence pacifique : pour les rassurer. Mais depuis la crise financière de 2008, la Chine à torpiller quelques relations pour lesquelles elle avait investi temps et énergie pour les créer. Mais il y a toujours deux choses qui se passent en parallèles, la coopération et les actions. Il faut toujours voir la tendance en général. Cette tendance là nous montre que la Chine devient de plus en plus affirmative dans la mer de Chine méridionale. Ce que j’étudie c’est qu’à l’interne le système subit de l’insécurité suite à l’affaiblissement de sa légitimité politique et de son économie. Pékin va donc établir des actions plus concrètes lorsqu’elle va être provoquée, à l’extérieur. Par exemple, suite aux réclamations de territoires du Vietnam et des Philippines en 2008/09, la Chine a renforcé sa présence militaire dans la Mer Méridionale. Aussi, les États-Unis ont décidé de faire leur Pivot vers l’Asie, et de renforcer leurs alliances régionales. Donc je pense que la Chine sent beaucoup d’insécurité face à cette région qui devient une véritable zone tampon. Donc on ne sait pas ce qui déclencherait un conflit mais si Pékin est provoqué, les Chinois répondraient.

Selon vous, quelles seraient les actions de la Chine en ce qui concerne Taiwan dans le futur ?

Les décisions concernant la réintégration de Taiwan dépendront des gouvernements en place à ce moment-là et de la force du nationalisme de chaque côté. La Chine a une vision réaliste de la politique internationale, c’est un acteur rationnel. Ce ne serait pas rationnel de prendre Taiwan par les armes. La population chinoise, à cause de son nationalisme, est beaucoup moins rationnelle que son gouvernement. Il faut toutefois comprendre que la Chine n’abandonnera pas l’idée de reprendre Taiwan, parce que renoncer à Taiwan donnerait l’image que la Chine pourrait céder et renoncer à ses revendications sur d’autres enjeux stratégiques.

Pour terminer, selon vous, est-ce qu’un conflit en Mer de Chine méridionale est inévitable ? Et qu’en est-il d’un conflit armé ?

Selon moi, le fort nationalisme chinois à l’interne jouera pour beaucoup dans la résolution du conflit. Le gouvernement chinois est plus réaliste et rationnel que sa population, mais il doit tenir compte des aspirations de son peuple, car la population chinoise a vraiment à cœur le contrôle de la région. Le Vietnam tient aussi beaucoup à la région de son côté. Une perte d’intérêts de la part des populations chinoise et vietnamienne, en ce qui attrait aux revendications territoriales en mer de Chine, pourrait ouvrir la voie à un développement conjoint de la région. Pour ce qui en est d’un conflit armé, il ne serait avantageux pour personne, avec les partenariats économiques et les différents intérêts de chacun, la Chine ne se verrait pas avantager, sa recherche d’hégémonie est pour le moment encore régionale et un conflit armé n’aiderait pas en ce sens. Les différents acteurs sont tellement sur les nerfs dans la région que si jamais un conflit armé s’amorce, il est probable qu’il soit causé par une erreur diplomatique ou un accident, mais rien de calculé ou de réfléchi. Il faut garder en perspective que tout le continent se développe encore avec le principe de coopération en parallèle du risque de conflit.

On l’aura compris, l’Asie d’aujourd’hui ressemble étrangement à l’Europe pré-1914.

Entrevue réalisée par Élisabeth Ricard, Amélie Racine et Gabrielle Nahmiash.

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