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Jordanie: terre d’accueil pour les Syriens

Alors que l’Europe est aux prises avec une importante vague de réfugiés syriens et peine à les accueillir, la Jordanie, elle, fait face à une situation plutôt familière, considérant les vagues de réfugiés palestiniens passées. Dans ce pays d’environ 7,5 millions d’habitants (2015), les nouveaux arrivants provenant de son voisin immédiat se font à peine remarquer à l’international. Pour comprendre la situation actuelle de la Jordanie et les enjeux auxquels elle fait face, faisons d’abord un retour en arrière.

Le camp de réfugiés Zaatari en Jordanie. 18 juillet 2013. Département d'État américain. Domaine public

Le camp de réfugiés Zaatari en Jordanie. 18 juillet 2013.
Département d’État américain. Domaine public

Printemps 2011

Le Printemps arabe bat alors son plein au Maghreb et au Moyen-Orient. Le 15 mars 2011, des protestations pro-démocratie éclatent dans la ville de Deraa, en Syrie, et poussent les autorités du régime de Bachar el-Assad à ouvrir le feu sur les protestants. Suite à cette forte répression, des groupes rebelles s’organisent contre le gouvernement, qui refuse de se démocratiser, et s’ensuit le début d’une guerre civile. Le conflit prend de plus en plus d’ampleur à mesure que le temps avance. Des crimes de guerre sont commis, les pays voisins et occidentaux s’en mêlent et, en 2013, une attaque à l’arme chimique dans les banlieues de Damas a même lieu. On rapporte plus de 250 000 morts dans ce conflit.

Ils sont alors plus de 4,6 millions de Syriens à quitter leur pays d’origine.

Où s’en vont-ils?

Alors que seulement 5% des réfugiés vont trouver l’asile en Europe, les 95% restant choisissent plutôt de s’installer dans les pays voisins, soit en Jordanie, au Liban, en Turquie, en Irak et en Égypte. Plusieurs motifs les poussent à s’installer dans ces régions. Tout d’abord, les Syriens retrouvent dans ces pays et ces villes arabes un semblant de normalité. Ils évitent le plus dur : un choc des cultures, une impossibilité d’intégration véritable. Aussi, dans les camps de Jordanie, le gouvernement offre une éducation et une alimentation de base gratuites. Finalement, la raison ultime qui incite les réfugiés à ne pas s’installer plus loin est l’espoir de retrouver leur pays natal lors de la phase de rapatriement des réfugiés suivant un conflit.

Répartition des réfugiés syriens dans les pays voisins. UNHCR, 2015.

Répartition des réfugiés syriens dans les pays voisins. UNHCR, 2015.

Zaatari

Principal camp de réfugiés situé en Jordanie, Zaatari fut construit d’urgence en 2011 pour accueillir le flot de migrants syriens qui quittait leur pays d’origine. Originalement bâti pour accueillir quelques centaines de réfugiés, 80000 Syriens habitent actuellement Zaatari, véritable ville. Bien que le gouvernement jordanien investisse beaucoup dans les infrastructures du camp, la situation y reste précaire. L’organisation Médecins sans frontière (2013) explique que le surpeuplement engendre des tensions quotidiennes, des infections et de nombreux cas de déshydratation.

De plus, n’étant pas autorisés à quitter le camp, les Syriens sont dans l’impossibilité de trouver du travail. Bien que la Jordanie ait promis un renversement de cette situation, cette ouverture du marché du travail pour les réfugiés n’aura lieu que si la communauté internationale s’engage à investir dans l’économie jordanienne, ce qui risque de prendre du temps.

Finalement, la substitution des tentes pour des habitations permanentes et l’expansion constante de Zaatari prouvent que le camp n’est pas prêt de fermer ses portes.

Conséquences économiques et socio-politiques sur la Jordanie

En plus de la condition précaire dans laquelle les réfugiés vivent, leur situation constitue également un fardeau pour les pays hôtes, principalement pour la Jordanie, bien que d’autres pays, comme le Liban, soient aussi durement affectés. Avant le conflit, déjà 750 000 Syriens habitaient la région. Avec l’arrivée de plus de 600 000 autres, la population syrienne représente désormais près de 18% de la population jordanienne.

La Jordanie s’est engagée à fournir les services de base aux réfugiés. Bien que ce pays ne soit pas signataire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, il offre son service de santé et d’éducation aux nouveaux venus. Par contre, ce n’est pas sans conséquence pour le pays. Selon un article d’Ali Fakih et Walid Marrouch (2015), le gouvernement aurait dépensé, en 2013, 81,4 millions USD pour l’éducation des enfants, 257 millions USD pour les infrastructures nécessaires en 2015, 168 millions USD en services de santé et 62 millions USD pour l’installation d’autres services, tels que l’eau courante et l’électricité. Toutes ces dépenses représentent 35% du budget jordanien, ce qui force le gouvernement à s’endetter et à dépendre fortement de l’aide internationale qui tarde à arriver.
En plus d’être un fardeau économique, ces réfugiés amènent des tensions sociales et politiques au sein du pays. La majeure partie des réfugiés sont installés dans les régions marginalisées de la Jordanie, où se trouvent aussi les minorités religieuses et ethniques du pays. Ce poids amène un mécontentement social et une montée de la violence parmi ces minorités, qui pourraient, un jour, menacer le pouvoir politique en Jordanie. Cette insatisfaction a forcé l’État à réduire son ouverture aux réfugiés. À long terme, comme les réfugiés ne semblent pas prêts à retourner en Syrie de sitôt, des problèmes de marginalisation et d’isolement sociaux sont très probables en Jordanie.

Les migrants de 2016

L’année 2015 a elle aussi amené son flot de réfugiés syriens en Jordanie et l’année 2016 ne sera point différente. En plus de l’oppression venant du gouvernement dictatorial d’al-Assad, ce sont maintenant les djihadistes de l’organisation de l’État islamique qui sèment la terreur parmi la population syrienne et qui poussent ceux-ci à demander l’asile dans les pays voisins. Bien que la Jordanie et les autres pays limitrophes continuent d’accueillir un nombre important de migrants, plusieurs Syriens, face à la saturation de ces pays d’accueil et à la détérioration des conditions dans les camps, décident plutôt de s’installer ailleurs, notamment dans l’Union Européenne. Le continent nord-américain est, lui aussi, ciblé par des réfugiés. Ne reste plus qu’à savoir quels seront les impacts de l’arrivée des réfugiés sur ces pays occidentaux, où la xénophobie est en hausse.

 

David Ji et Gabrielle Tremblay
Étudiants au Collège Jean-de-Brébeuf

 

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