En rafale

Vers un retour de l’extrême-droite au Bundestag – Deuxième partie

Ce texte est la suite de sa première partie qui couvrait l’émergence de l’AfD.

Le flirt qu’entretient l’AfD avec les mouvements d’extrême-droite suscite de vives inquiétudes. Une certaine complicité règne entre le parti et Pegida , un mouvement populiste qui milite contre « l’islamisation de l’Occident ». Alors que les autres partis ont dénoncé à l’unisson le caractère xénophobe des rassemblements de Pegida, l’AfD s’est abstenue de formuler toute critique à leur égard ; un sage calcul politique eu égard au vivier d’électeurs que représente ce mouvement pour l’AfD, estime Sabine AmOrde du Tageszeitung. Certains candidats de l’AfD vont même jusqu’à exprimer ouvertement leur sympathie envers le mouvement anti-islam. Ce sentiment semble réciproque : le dirigeant de Pegida, Lutz Bachmann, affirme que son mouvement ne ferait pas d’ombre à l’AfD s’il venait à se transformer en parti politique : Pegida ne présenterait aucun candidat dans les circonscriptions convoitées par l’AfD.

L’étiquette d’extrême-droite que l’on prête à l’AfD n’est pas uniquement basée sur la bonne intelligence qui règne avec Pegida. Le passé obscur, ainsi que les déclarations xénophobes de certains membres de l’AfD, ont sévèrement entaché la réputation du parti. Fraîchement élu à Berlin, Kay Nerstheimer, a qualifié les réfugiés syriens de « répugnante vermine » tout en réduisant les demandeurs d’asile à des « parasites qui se nourrissent sur le dos du peuple allemand ». En 2015, les propos antisémites d’un membre du parti dans le Bade-Wurtemberg avaient également suscité l’indignation générale.

De l’isolation à l’acceptation

En dépit de ces dérapages, la popularité de l’AfD ne fléchit pas. Contrairement au mouvement Pegida, qui demeure confiné dans l’est du pays, en particulier à Dresde, l’AfD séduit partout en Allemagne. Ses récentes prouesses électorales dans les länder occidentaux l’attestent : 15% des voix recueillies dans le Bade-Wurtemberg, 13% en Rhénanie-Palatinat. Forte de sa capacité à mobiliser l’électorat, l’AfD voit désormais se modifier le traitement que les autres partis lui réservent. Alors que le parti était naguère vilipendé presque unanimement, des voix s’élèvent désormais pour le réhabiliter. Selon la députée Veronika Bellmann (CDU), une alliance potentielle avec l’AfD ne peut être mise de côté dans le cadre des prochaines élections fédérales en 2017. Ne pas tenir compte de la montée de l’extrême-droite reviendrait à se voiler la face, estime la politicienne. L’ancien conseiller du chancelier Helmut Kohl, Peter Radunski, abonde dans le même sens.

À droite toute

La montée de l’AfD est étroitement liée au mécontentent de la population à l’égard de la question des réfugiés. Consciente de cette grogne, Angela Merkel a récemment raffermi son discours à ce sujet, vraisemblablement afin de courtiser les électeurs de l’AfD. Ce changement de rhétorique est déploré par Der Spiegel dans son éditorial du 28 août. L’hebdomadaire met en exergue le nouveau discours de la chancelière, qui remet en question la loyauté de certains immigrants envers leur pays d’accueil.

Par ailleurs, le gouvernement a changé de ton au sujet des réfugiés en annonçant des restrictions qui visent à freiner leur afflux, en limitant le regroupement familial et en promettant davantage d’expulsions.

Simple ballon d’essai ou stratégie électorale définitive en vue des prochaines élections? Certains analystes estiment que la CDU, en s’alliant avec la gauche (SPD) dans le cadre du présent mandat, a laissé le champ libre à l’AfD, qui aurait ainsi profité du vacuum créé à la droite du parti. Pour corriger cette situation et juguler la montée de l’AfD, la chancelière semble désormais préconiser un glissement de son parti vers la droite.

À un an du scrutin fédéral, il reste amplement de temps à Angela Merkel pour mesurer l’impact de cette stratégie. Entre-temps, les trois élections régionales de la Sarre, du Schleswig-Holstein et de Rhénanie-du-Nord-Westphalie serviront de baromètre des intentions de vote des Allemands.

Quant à l’AfD, si elle poursuit sur sa lancée, l’année 2017 marquera l’entrée d’un parti d’extrême-droite au Bundestag, une première depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale en Allemagne.

 

Étienne Gamache,
Étudiant en journalisme à l’Université de Montréal

 

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