En rafale

Vietnam – États-Unis : anciens ennemis – nouveaux alliés

La Guerre du Vietnam (1955-1975), qui se solda par la défaite des États-Unis après plus de 10 ans d’une intervention militaire musclée, avait mobilisé plus de 600 000 militaires américains (4 fois plus qu’en Irak en 2003) et causé la mort de 58 000 d’entre eux contre plus d’un million de Nord-Vietnamiens. Converti depuis au communisme, le Vietnam était devenu un régime paria, soumis à de nombreuses sanctions économiques et commerciales[1] et un embargo sur la vente d’armes. Cet héritage de la guerre froide est en voie de passer à l’histoire. L’émergence économique, diplomatique et militaire de la Chine, à la fois comme superpuissance régionale et concurrent direct de la pax americana, inspire autant la crainte de Hanoï que l’inquiétude de Washington.

Devant cette nouvelle donne, le Vietnam se sent de plus en plus isolé et paralysé dans la défense de sa souveraineté maritime quand Washington craint pour la « liberté de navigation, l’accès ouvert aux zones maritimes communes de la région et pour le respect du droit international en mer de Chine méridionale[2] ». Le Vietnam et les États-Unis ont alors entamé un rapprochement stratégique nouveau et surtout inusité, quand on connaît l’hostilité historique et le poids de la mémoire collective. Ce n’est donc pas tant l’idéologie qui motiverait ce rapprochement (le Vietnam étant toujours dirigé par le Parti communiste), davantage que la nécessité pragmatique de contenir la Chine.

Que se passe-t-il en mer de Chine méridionale ?

Les querelles régionales en mer de Chine méridionale entre la Chine et le Vietnam sont dues à des conflits de souveraineté autour du contrôle de l’archipel des îles Paracel et de celui des îles Spartley[3], riches en hydrocarbures (voir carte ci-dessous).

Ces revendications existent depuis le milieu des années 70, mais le relatif équilibre des capacités maritimes de chaque État gelait de facto les contentieux.  Cet équilibre est aujourd’hui largement fragilisé par la Chine qui investit massivement depuis quinze ans dans le développement et la modernisation de sa marine qui est devenue la deuxième flotte militaire (1 million de tonnes) au monde derrière celle des États-Unis (3 millions de tonnes). Ces investissements sont essentiellement dirigés vers le contrôle du sud de la mer de Chine qui permettrait à Pékin de sécuriser son littoral méridional, de s’accaparer les hydrocarbures du sous-sol et de contrôler les voies de commerces maritimes assurant l’approvisionnement énergétique du Japon, de Taïwan et de la Corée du Sud, pays avec lesquels la Chine entretient de nombreux différends maritimes et qui se trouvent tous être alliés des États-Unis.

Ainsi, en plus de la mise en service de nouveaux bâtiments de guerre, dont un porte-avions et plusieurs dizaines de nouveaux sous-marins, la Chine fortifie ses installations militaires et civiles locales, multiplient les interventions maritimes musclées contre les navires vietnamiens et a même construit, dans le secret le plus total, une base maritime souterraine destinée à accueillir une vingtaine de sous-marins sur l’île de Hainan[4].

Carte 1 : Revendications en Mer de Chine du Sud (source : Atlas géopolitique des espaces maritimes, Paris, 2010).

South China sea disputes

 

Entre équilibre des puissances et confrontation

Depuis l’arrivée de Barack Obama au pouvoir, la Maison Blanche essaye de se libérer du fardeau moyen-oriental hérité de l’ère Bush (Afghanistan, Irak) à la faveur de l’Asie de l’Est, même s’il semble que l’État islamique remette cette décision en question au moins temporairement. En 2012, Washington annonçait la nécessité de basculer l’ordre établit et de créer un pivot de sécurité asiatique composé d’alliés traditionnels craignant tous l’émergence militaire de la Chine. C’est la Corée du Sud, le Japon, les Philippines et la Malaisie. À y regarder de près, ces États forment un rempart autour de l’espace maritime chinois. L’adhésion du Vietnam à cette stratégie américaine de sécurisation de l’espace maritime asiatique (interprétée par les Chinois comme rien autre qu’une nouvelle politique d’endiguement) viendrait compléter le verrouillage du littoral chinois.

Carte 2 : la stratégie asiatique des Américains

pivot asiatique

Les alliés américains en bleu foncé du Nord au Sud : Japon, Corée du Sud, Philippines et Malaisie.
Les soutiens américains en bleu clair du Nord au Sud : Taïwan, Vietnam.

Cela s’inscrit dans la nouvelle politique de défense des États-Unis (2012-2020) où le Pentagone reconnaît, pour la première fois, l’existence d’une menace régionale chinoise présentant un risque accru pour la sécurité nationale. « Over the long term, China’s emergence as a regional power will have the potential to affect the U.S. economy and our security in a variety of ways » (page 8/16).  Cette transparence est d’autant plus dramatique que depuis 1992, première année post guerre froide, les États-Unis s’engageaient à  dissuader ou combattre l’émergence de tout concurrent potentiel, signifiant que le titre d’hégémon leur était exclusivement réservé. Ce principe doctrinal est demeuré intouché dans toutes les politiques de défense successives adoptées depuis 1992.

 

De son côté la Chine adopte une vision largement différente. À mesure que son émergence se renforce, elle ose critiquer les lenteurs budgétaires américaines ou la domination du dollar, réclamer vertement le contrôle de l’ensemble de la mer de Chine et menacer du recours à la force pour assoir sa domination régionale. C’est ainsi qu’un officier senior de l’Armée de libération populaire (ALP) déclarait dès le début des années 90 que «  l’armée était déterminée à construire des capacités militaires suffisantes pour accomplir deux objectifs : 1) résoudre le problème de Taïwan, par la force si nécessaire et 2) forcer les États-Unis à quitter l’Asie du Sud-Est »[5].

Plus récemment, en 2010, le ministre des affaires étrangères chinois, Yang Jiechi, répondait sèchement à la décision des États-Unis d’inscrire la mer de Chine méridionale dans leur zone d’intérêts stratégiques, en soulignant fortement que les États d’Asie du Sud-Est étaient petits alors que la Chine était grande[6]. Autrement dit, les petits ne feront pas la loi au plus grand.

Le paradoxe chinois : l’émergence de la Chine nourrit les dispositifs destinés à la contenir.

Dans ce contexte d’opposition stratégique entre l’hégémon du système et son concurrent le plus naturel, le Vietnam préfère conserver le statu quo ante en mer de Chine méridionale plutôt que de voir se renforcer la puissance chinoise à son détriment. Pour cette raison, il est quasiment inévitable de voir émerger puis se renforcer un axe Washington – Hanoï permettant de compléter le pivot asiatique des États-Unis. À ce titre, Washington annonçait en octobre dernier la levée partielle de l’embargo militaire pour autoriser la vente d’armement maritime létal au Vietnam. Après 40 ans de boycott, la Chine aura malgré elle réussi l’impensable : réconcilier le Vietnam et les États-Unis. Voilà tout le paradoxe de Pékin : à mesure que la Chine émerge, elle renforce également les dispositifs sécuritaires destinés à l’endiguer.

Guillaume A. Callonico
Professeur de science politique
Collège Jean-de-Brébeuf, Montréal, Canada.

 

Références

[1] Ces sanctions ont progressivement été assouplies depuis Clinton.

[2] Extrait du discours d’Hillary Clinton, alors secrétaire d’État des États-Unis lors somment de l’ASEAN en juillet 2010 à Hanoï, au Vietnam.

[3] L’archipel des Spartley, plus au sud oppose également l’ensemble des pays riverains à la Chine. Les plus fortes tensions entre la Chine et le Vietnam se concentrent autour du premier achipel, les Paracel.

[4] Ce sont les satellites de la fédération des scientifiques américains qui ont localisés et dévoilés la base de Yulin, sur le littoral sud de l’île de Hainan en 2008. Les différentes agences du renseignement pensent que la construction aurait commencé autour de 2001/2002.

[5] Ott, Marvin. 2012. « Southeast Asia’s Strategic Landscape » in SAIS Review of International Affairs, Vol 32 (1), Winter-Spring, p : 120

[6] Ott, Marvin. 2012. « Southeast Asia’s Strategic Landscape » in SAIS Review of International Affairs, Vol 32 (1), Winter-Spring, p : 122.

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